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GUERRE LAND

Publié le par Mikeulponk

Le dernier film d'Alex Garland, Civil War, m'a beaucoup plu. Mais j'ai de grosses réserves sur la fin à propos de la dissonance narrative.

ERREUR SUR LA MARCHANDISE

D'abord, je suis allé le voir parce que j'ai confiance en Alex Garland suite à ses précédents films. Le C.V. est copieux :
Il a écrit le roman La Plage, adapté par Dany Boyle avec qui il bosse de nouveau sur 28 jours plus tard et Sunshine dont il est le scénariste. Il scénarise aussi Never Let Me Go.
Puis il passe à la réalisation avec Ex Machina, Annihilation, Men et la série Devs (souvent oublié dans sa bio alors que c'est super).
Donc quand il propose un film sur une potentielle guerre civile aux USA, je trouve le sujet surprenant. Il semble plus tourné vers des sujet SF ou fantastiques mais je suis curieux de voir ce qu'il peut tirer d'un tel sujet (surement pas ce à quoi on s'attend, les gens auraient dû s'en douter).

Les critiques sont soit dithyrambiques (parfois pour des raisons limites), soit déplorables (souvent parce que les critiques n'ont rien pigé).
Autant le dire tout de suite, ce n'est pas un film d'action ou de guerre classique.
Celles et ceux qui s'attendent à ça vont probablement être déçus.
Le problème, ce n'est pas le film, ce sont les attentes.

Il faut reconnaitre que nommer un film Civil War et le faire se dérouler aux USA à notre époque, ça crée des attentes évidentes. La bande annonce confirme ces attentes. C'est assez normal que le public puisse se sentir trompé (C'est pourquoi je ne regarde presque plus les bandes annonces. Soit elles vendent un autre film et induisent en erreur - c'est le cas présent - soit elles spoilent carrément les meilleurs moments et des éléments important de l'intrigue, gâchant les effets de découverte).
Pour autant, cette déception ne devrait pas durer. On dirait qu'une partie du public n'a pas su se détacher de ses attentes et a attendu tout le long du film qu'on lui serve ce qu'il attendait. Quand on est face à un film, on devrait vite se dire "je vais regarder le film et voir ce qu'il me propose". Comme ça, si le film n'a finalement pas servit ce à quoi tu t'attendais, tu ne t'es pour autant pas empêché d'en profiter.
Quand on paye un certain prix (plus de 10 balles à Paname quand même!) on se met en condition de ne pas regretter son investissement (je crois que pas mal de critique ne payent pas leurs places de ciné, ils peuvent se permettre de cracher dans la soupe).
On est un public, pas des consommateurs.
Le film est une proposition, pas un produit sur mesure.

Je crois qu'il vaut mieux avoir un minimum d'ouverture d'esprit face à une œuvre non ?
Je trouve beaucoup des critiques désagréablement capricieux.

J'ai entendu (ou lu) plein de critiques qui lui reprochent de ne pas être clair sur le contexte. "C'est nul, il ne dit pas pourquoi y'a la guerre".
On s'en fout! C'est peut être pas le sujet! Je suis parfois désespéré devant la bêtise de ces commentateurs autoproclamés qui prétendent être légitimes et compétents pour critiquer un film alors qu'ils ne sont pas capables de comprendre une œuvre qui n'est pourtant pas spécialement subtile. Avec cette arrogance de dire "si j'ai pas aimé, c'est que c'est mauvais. Si j'ai pas compris, c'est que le réal est bête".
C'est plus probablement l'inverse.
Je trouve que le film est pourtant clair dans son parti prit narratif. Mais, si on est passé à côté, avant d'ouvrir sa gueule, la moindre des chose est d'aller se renseigner sur les intentions du réalisateur.

Il est britannique et veut parler des dangers de la monté de l'extrême droite qui mène tôt ou tard à la guerre. Il veut qu'en voyant le film, on ne se limite pas aux USA, éviter les réactions du genre "ça peut arriver aux USA, mais pas chez nous". Il veut qu'on se pose la question sur notre propre situation de pays occidental (L'ukraine nous rappelle que nous ne sommes pas à l'abris).
Pour ce faire, il ne faut pas trop préciser le contexte pour ne pas trop le limiter.
D'habitude, pour faciliter les choses, on utilise la science fiction pour brouiller les pistes (exemple District 9) ou le fantastique pour symboliser (exemple La nuit des morts vivants, ou Blood Punks:)). Genres de prédilection de Garland.

Ce n'est donc pas un film sur une "guerre civile aux USA", c'est un film qui met en scène une guerre civile, et qui prend comme contexte les USA, pour provoquer un choc narratif.
Cela dit, c'est peut-être une erreur d'avoir choisi les USA.
Il dit avoir fait ce choix parce que les USA vont parler à plus de gens internationalement (plus que l'Angleterre son pays d'origine). Mais ce choix c'est retourné contre le film car il a sous-estimé le rapport à ce pays qu'on observe trop. Peut-être que ce choix a aussi été préféré pour choper du financement (l'industrie la plus puissante du monde a du mal a financer des film qui ne se place pas dans son propre pays) et garantir un certain nombre d'entrées.
Il est certain que si le film se déroulait en Espagne, il n'aurait pas autant attiré l'attention.

Et il faut se poser la question sur le fait que ce sont les bourgeois qui ont le plus la parole, qu'on entend le plus et qui conspuent le film (les critiques du Masque et la Plume à propos des grands classiques de la pop culture sont des exemple limpides de mépris de classe et de snobisme qui rivalise avec leur ignorance et leur arrogance). Les bourgeois ne sont, par définition, pas de culture populaire (la distinction se joue dans la culture avant tout). Or Garland, c'est du ciné de genre pop. Ce n'est jamais révolutionnaire. C'est du film grand public qui cherche à flirter avec l'intello (que certains appellent avec un peu de mépris "l'elevated gender").
Pas assez élitiste pour les bourges et trop sérieux pour les ploucs.
Ce qui lui vaut d'être qualifié de prétentieux (soit parce qu'il n'atteint pas le niveau de sophistication selon les premiers ou se donne des airs de valoir mieux que les seconds).

On ne peut pas nier que Garland est un passionné. Il tente des trucs et s'amuse avec son médium et ses références, détendez-vous, ça va aller.

Arrêtons de parler d'un film qui n'existe que dans les fantasmes de gens obtus et venons-en donc au vrai sujet du film sorti en salles.

ROAD OF WAR

Laissons lui une chance et voyons ce qu'on peut en tirer.
C'est un film sur le journalisme en forme de road movie. Le récit va donc se concentrer, non pas sur le contexte, mais sur l'expérience humaine.

Pitch : Dans un futur proche, une guerre civile déstabilise les USA. Les deux grand états que sont la Californie et le Texas se sont alliés contre le gouvernement de Washington et ses soutiens.
Un groupe de journalistes de guerre vont tenter de rejoindre Washington pour interviewer le président avant qu'il ne soit vaincu par la rébellion.
La petite équipe est constituée de trois générations. Un duo de journaliste pro en plein pic de leur carrière. Lee (Kirsten Dunst) est une photojournaliste vétérane (sans doute un peu marquée par les conflits qu'elle a couvert) qui n'a pas peur des points chauds. Elle est accompagnée de  Joël (Wagner "Pablo Escobar" Moura) un journaliste interviewer tête brûlé, accroc à l'action et à divers substances.
Ils embarquent Samy (Stephen McKinley Henderson - Dune, Devs...) doyen du journalisme de presse écrite, vieux sage baroudeur et mentor de Lee, ainsi que Jessie (Cailee Spaeny - Devs) une jeune novice qui veut rentrer dans la profession aux côtés de son idole contemporaine.

Le road movie est un procédé faisant passer les personnages par des séquences souvent décolérées qui confrontent et changent les personnages. C'est le fameux parcours initiaque. Le fil scénaristique n'est pas nécessairement la logique et la cohérence des évènements entre eux, mais la progression psychologique des protagonistes au contact des situations, souvent inattendus, qu'ils traversent.
C'est un procédé efficace étant donné le contexte de guerre et de journalisme. On passe effectivement d'une séquence à une autre, d'un point de vue à son inverse. On peut rencontrer l'absurde. Ça contribue à donner un sentiment de chaos typique (des conflits armés et d'autant plus des guerres civils) recherché par le film. Ça permet aussi de traiter la complexité du monde et la diversité des points de vue.
C'est un procédé narratif classique, pas nouveau, qui ne plait pas à tout le monde (en effet, c'est un cadre opposé au principe d'unité de temps et de lieu dans le scénario qui donne une ambiance parfois décousue, étirée ou confuse). Pourtant, certains se permettent de le juger sans l'avoir compris. Un peu de recul et de modestie ne ferait pas de mal.

FRONT RÉPUBLICAIN ?

Parlons un peu du contexte maintenant, car Garland nous donne quand même des indices.
On sait que le président fait son troisième mandat, ce qui n'est pas digne d'un pouvoir démocratique. Les mandats étant limités à deux dans toutes les républiques qui veulent paraitre un minimum démocratiques. On sait qu'il a dissous le FBI, une organisation fédérale, sans doute trop gênante. Qu'il fait bombarder les civils et fait tirer sur les journalistes. Qu'il raconte n'importe quoi dans sa propagande.
On comprend donc que ce président est un facho inspiré de Trump.
On nous dit aussi que le Texas et la Californie se sont alliés contre un usurpateur de la démocratie Américaine. On comprend donc que ces deux états, opposés politiquement (le Texas est de droite et la Californie de Gauche), ont mit de côté leur polarisation pour combattre un ennemi commun plus important : le fascisme.
Cet élément de contexte pousse les observateurs qui s'improvisent politologues des USA à affirmer que c'est invraisemblable. De fait, ils prouvent qu'ils n'y connaissent rien aux USA. Déjà, tout est possible (Trump merde!) et enfin, dans la scène d'escarmouche urbaine, l'unité suivie par le groupe de journalistes est sapée avec des chemises hawaïennes en référence à une milice d'alt-right américaine : le mouvement boogaloo.

Boogaloo Bois, Magnum conspi surarmé

Très antigouvernemental, dans le sens complotiste libertarien, pensant que le "deep state" veut s'attaquer à la constitution, notamment en durcissant les lois sur les armes à feu. Mouvement cependant très confus, à la fois majoritairement pro-trump (surtout depuis la crise COVID), qui contient des suprémacistes comme des alliés du mouvement black lives maters. Bref, ils n'ont pas l'air d'être gênés par la polarisation car ils semblent se concentrer sur la haine du gouvernement et leur désir de guerre civile. Ce mouvement, directement cité, valide le postulat de Garland sur une potentielle alliance du Texas et de la Californie, par le biais de ses milices armées (ceux qui tiennent les armes décident souvent).

Pour ceux qui disent qu'on ne sait pas pourquoi la guerre civile a éclaté, Alex Garland leur répond qu'on sait très bien pourquoi et qu'il n'a pas besoin de le dire. Un peu de jugeote. À moins que ce ne soit trop difficile de réfléchir quand on a prit l'habitude d'éteindre son cerveau devant un navet au budget pharamineux ou devant une série qui explique tout comme si on était débiles. Ça c'est la touche A24. Ils t'appâtent avec un blockbuster guerrier sur un pays qu'on adore détester pour te livrer un road movie critique sur la démocratie via une descente aux enfer d'une bande de journalistes borderline.
Je mets au défi ces gland de me prouver qu'après avoir vu le chef d'oeuvre Apocalypse Now (ou n'importe quel film de guerre reconnu) ils pouvaient m'expliquer pourquoi il y a la guerre dans le contexte choisi par le film.

 

Apocalypse Now - guerre civile ?

Apocalypse Now est une adaptation du roman Au Coeur des Ténèbres de Conrad qui se déoule au Congo. Ceux qui sauront expliquer la guerre du Vietnam ne l'on pas apprit dans le film (ni dans Voyage au Bout de l'Enfer ni dans Full Metal Jacket...)
Autre détail à propos du film de Coppola. C'est Willard, un américain, qui doit aller tuer Kurtz, un autre américain, qui se bat avec des américains, des vietnamiens et des cambodgiens contre des vietnamiens et des américains. Qui tire sur qui ? N'est-ce pas une guerre civile tout aussi confuse que celle décrite par Garland ?
Pourquoi les Américains sont intervenus en Somalie dans La Chute du Faucon Noir ? Lors de quelle bataille se déroule le film Croix de Fer ? Qu'est-ce que les Amerlot foutaient sur cette île, et quelle île, dans La Ligne Rouge ?...
En gros, les américains peuvent aller buter n'importe qui à l'autre bout du monde sans qu'on ai besoin de savoir pourquoi, mais si des occidentaux se tuent entre eux, alors il nous faut des explications.
Garland traite la guerre aux USA comme nous avons l'habitude de traiter les conflits en Afrique, et ça nous déstabilise. Bien joué.

Alex Garland est prudent car si on veut que le film ai une bonne durée de vie, il doit s'adapter aux lieux et à l'époque où il sera projeté (et pas tourné). On ne peut pas affirmer un déclencheur précis qui figerait les évènements dans un espace-temps (après tout, qui aurait pu prédire les gilets jaunes, la crise COVID ou le réchauffement climatique?:)). Le récit doit pouvoir être mobilisable en prenant en compte que les circonstances sont des détails par rapport au schéma. Le sujet politique est plus philosophique qu'historique.

Si c'était en France que se déroulait le film, on aurait pas besoin non plus de préciser, on le sait bien. Les fachos conflictualisent la société, la divise, pensent en terme d'ennemis et ne laissent pas d'autre choix que la soumission ou la rébellion.

D'un côté, je suis plutôt content qu'un film de cette importance tende vers l'antifascisme.
D'un autre, si on pense que Garland ne voulait pas limiter son propos aux USA, je ne suis pas convaincu par cette histoire de dépassement des polarisations dans d'autres contextes.
Je ne crois pas au dépassement des clivages gauche/droite dans le cadre d'une guerre civile en Europe. En France, pendant l'occupation, la résistance voyait des communistes combattre les nazis aux côtés de nationalistes d'extrême droite. C'était possible car il y avait un envahisseur.
Dans le cas d'une guerre civile, c'est justement cette polarisation qui mène à la guerre en général (d'autant plus en Europe de nos jours où l'extrême droite est sur le point de conquérir les institutions avec l'aide de la droite tradi).
La droite sera toujours plus du côté de l'extrême droite que de la gauche.
À l'époque c'était "plutôt Hitler que Bloom", aujourd'hui c'est "plutôt Lepen que Mélenchon". Ou encore, "plutôt les identitaires que les wokes". C'est le chemin que prend notre droite nationale (de Macron à Zemmour).
Mais bon, ne limitons pas notre réflexion à ce genre de spéculations car ce n'est vraiment pas l'intérêt du film.

ENNEMI INTIME

Je me rapproche maintenant de ce qui m'obsède personnellement, le rapport entre l'intention et la forme. Sont-elles cohérentes?
Alex Garland commence avec un style très proche du sol. Presque documentaire. Très subjectif. On comprend le positionnement des protagonistes et le film évite de nous mettre à la place des soldats. Le journaliste conserve toujours un regard extérieur, et critique.
Le film cherche à brouiller les pistes et refuse de désigner le camp des rebelles (pour lequel il a de la sympathie) comme le camp des gentils. La situation est cruelle et complexe.
Elle met à l'épreuve l'intégrité et l'éthique du journalisme.
Si la situation était clair, ce serait trop facile. Ce n'est justement pas une guerre entre les valeureux libérateur face à la barbarie nazie. C'est une guerre entre membres d'un même pays. Parfois d'une même ville.

Je vais résumer le scénario (ATTENTION SPOILERS) afin de bien comprendre de quoi il retourne.

- On ouvre le film sur un Attentat - la population souffre des restriction, de l'eau en l'occurrence. Puis, il y a une explosion et des civils tués.
C'est très proche de ce qu'on trouve dans la merveilleuse BD DMZ qui parle d'une guerre civile moderne aux USA (et qui correspond plus à ce que les gens s'attendaient à voir, mais qui a quelques années maintenant).
On plante le décors d'un pays occidental qui vit ce que les pays touchés par la guerre civile ont subit (petit goût d'effondrement). Y compris peut-être des pays touchés par les interventions américaines. On doit comprendre (en tant qu'occidentaux) "ça peut nous arriver". On en profite évidemment pour caractériser les personnages, car ce sont eux le sujet du film.
- Ils se rencontrent dans un hôtel et la jeune journaliste (Jessie) parle de la coïncidence que ses deux modèles s'appelle Lee, faisant référence à une photojournaliste qui a couvert la seconde guerre mondiale (dont la découverte du camp de Dachau ou l'appartement d'Hitler au moment de sa chute).
- La petite bande fait une première rencontre dans une station essence. Une bande de redneck défend sa propriété contre le pillage dû aux pénurie (inutile de rappeler la centralité du pétrole pour les USA). Ils torturent des gens qu'ils connaissent. Ça rappelle le Rwanda où des gens étaient massacrés par leurs voisins. Le lien entre propriété et armes à feu (et racisme) est constitutif de la violence aux Etats-Unis.
- Camping - Jessie, la novice, est choquée. Lee, la vétérane, se pose des questions éthique avec son mentor Samy. Lui garde une éthique rigoureuse alors que Joël ne pense qu'à l'action.
- escarmouche urbaine - Le groupe suit une milice (boogaloo, ce qui peut crédibiliser son hypothèse contextuelle d'alliance rebelle entre états antagonistes politiquement) qui se bat contre les troupes gouvernementales. Jessie prend sa première photo en situation de danger : un combattant blessé. Ils abattent un ennemi à l'agonie et des prisonniers de sang froid. Ce qui nuance quelque peu le camp du bien.
- Camp de réfugiés - Passage obligé mais corrosif. Serons-nous un jour nous-mêmes des réfugiés? Cette question peut sembler un peu simple mais c'est ce qui fait sa puissance. Une question si banale ne devrais plus être posée aujourd'hui. Ce n'est pas le film qui est simpliste, c'est ce monde qui oublie ses fondamentaux. Le film assume son penchant humaniste. Une personne avisée m'a fait remarqué qu'alors qu'on traversait des lieux marqués par la mort maculés de tâches de sang, dans ce refuge, les enfants jouent et les murs sont recouverts de peinture (on dit que c'est cliché mais traiter le camp de réfugié à l'opposé du misérabilisme habituel, c'est tout l'inverse).
- Ils arrivent dans une ville en plein déni qui prétend se tenir à l'écart du conflit. Alors que l'on a ouvert le film avec des restriction d'eau et de carburant, ici on arrose sa pelouse et on ne rationne pas l'essence. Cela fait penser au fait que nombre d'américains pensent que leur mode de vie n'est pas négociable. Ça m'a rappelé aussi "Paris est une fête", au lendemain de l'attentat du Bataclan. Évidemment, ceci n'est qu'une façade. La boutique vide et les gardes sur les toits révèlent l'hypocrisie. La guerre présente des situations de contraste et d'absurdité qui mettent à l'épreuve la santé mentale des protagonistes. Cette pause shopping ramène le personnage de Lee au fait qu'elle est en plein PTSD et qu'elle ne sait plus ce qu'est une vie normale. Elle ne sait plus qui elle était avant de devenir une reporter de guerre. S'habitue-t-on un peu trop à l'inacceptable?
- Embuscade - Ils tombent sur une équipe de snipers pris sous le feu d'un autre tireur, au milieu d'un décors de noël tout à fait inapproprié. On ne sait pas qui est dans quel camp et ce n'est plus la question. Il faut juste tuer ou être tué. Il y a un côté scène du pont de Do Lung (Apocalypse Now film de référence évidente, le fleuve étant remplacé par la route). Les protagoniste sont prit au piège d'un tireur mais surtout de l'engrenage de la violence. Lee sera-t-elle capable de photographier Jessie si elle prenait une balle?
- Charnier - On arrive à la scène pivot du film. Ce qui devait arriver arrive. Le drame. La question de l'extrémisme de droite et du nationalisme qui conduit au crime est enfin clairement posée. La scène se passe de commentaire (j'y revient plus en détail plus loin). Suite à ça, le sage, la conscience du groupe, est tué. Les personnages vont donc basculer ou avoir un sursaut salvateur.
- Ils arrivent à Charlottesville (ville du célèbre attentat d'un néo-nazi qui a foncé en voiture dans une manif antifa, cité dans le film comme un photoreportage qui a rendu célèbre Lee, et qui permet de rappeler l'hypothèse du réalisateur sur ce qui peu générer une guerre civile). Les persos encaissent et décident de suivre les soldats.
- Assaut final - C'est la guerre totale à la capitale. La maison blanche est prise d'assaut. C'est Bagdad dans les rues. Lee est en crise. Jessie est devenue téméraire et accroc à l'adrénaline. Au moment de rentrer dans l'enceinte du bâtiment, Lee reprend ses esprit.
Ils suivent les soldats qui se battent devant la porte du bureau ovale. Lee est touchée. Elle est prise en photo par Jessie. Les deux journalistes restant accomplissent leur mission.

Le film raconte donc le périple de ce groupe de journaliste et comment ils vont réagir aux épreuves qu'ils vont traverser. Le trope classique du novice qui est sur la brèche entre les différentes option symbolisées par ses modèle, jusqu'à ce qu'elle bascule d'un côté ou de l'autre (Platoon). Les situation sont un peu cliché (il y a des ivariables dans la guerre), mais si vous regarder les actualités, la réalité et souvent plus caricaturale encore.

Platoon - De quel côté va-t-il finir ?

Lee, sur la brèche, traumatisée, est en train de perdre la foie en sa mission. Mission journalistique indispensable au bon fonctionnement démocratique dont l'éthique est représentée par le personnage de Samy, le vieux sage. Joël représente plutôt le côté sensationnaliste accroc à l'adrénaline, au scoop, au buz, à l'info spectaculaire que Garland estime (à juste titre) dévoyer la noble mission de ce métier qui peu servir de contre-pouvoir comme d'outil de propagande.
Enfin, Jessie représente la candeur, elle n'a pas encore assez d'expérience pour choisir sa voie. Sera-t-elle du côté de l'éthique ou du spectacle? suivra-t-elle l'exemple de son mentor (elle-même en période de doute) ou du charognard? Quel effet auront les chocs qu'elle subira tout au long de ce parcours?

On plante le décors et on pose les questions sur le journalisme.
Une fois que les persos sont calés, on entame le cœur de l'intrigue. La scène des snipers est un jalon qui enregistre les premières évolutions.

Devant l'apparente insensibilité de Lee, Jessie se demande, si Lee aurait le cran de la prendre en photo si elle se faisait abattre. Lee répond "peut-être". Elle ne sait pas encore de quel coté moral elle se trouve.

Le groupe croise la route de collègues inconscients et amis de Joël. Jessie joue le jeu mais cela tourne au drame. Par imprudence ils tombent entre les mains de criminels de guerre xénophobes.
Les deux journalistes hongkongais sont assassinés. Samy, qui voulait rester à l'écart pour ne pas prendre de risque, s'implique et leur sauve la vie. Il le paye de la sienne. Il est puni de ne pas avoir respecté sa déontologie d'observateur et de non intervention.
Lorsque Samy est tué, Lee réalise que cette guerre lui a prit son mentor. Il était la conscience qui la tenait tant bien que mal rattachée à sa mission. Elle efface la photo qu'elle avait prise de sa dépouille, montrant qu'elle veut retrouver son humanité (hommage). Joël, plus choqué que prévu, pète un plomb et se défonce. Au réveil, il est devenu obsédé par son projet d'interview et toute humanité (et neutralité) à disparue avec la mort de ses amis et de Samy. Lui, il a basculé.
De quel côté tombera Jessie? Il est fort probable qu'elle se sente coupable.

Lors de la bataille, Lee craque et perd ses moyens. Elle est prostrée et ne fait pas de photos. Jessie, endurcie par les épreuves, a prit la place de Lee. Elle prend des risque et mitraille, comme le groupe soldats. Elle se sert de son appareil argentique qui fonctionne comme un fusil, tire et recharge. (Pas mal de commentateur.ice.s ont interprété son choix de l'argentique seulement comme de la frime, du romantisme grossier. C'est condescendant et traduit une sorte de dénigrement de la jeunesse en lui prêtant systématiquement des intentions médiocres).
Lee reprend ses esprit, comme un réflexe professionnel. Elle flaire le scoop.
Dans le dernier assaut, Jessie, imprudente, est sur le point de se prendre une rafale. Lee intervient et prend les tirs à sa place tandis que Jessie prend des photos.
Lee est punie à son tour d'être intervenue. C'est finalement Jessie qui a prit une photo de Lee qui se fait abattre. Elle est choquée. Ni elle ni Joël ne vérifie si Lee est encore vivante (après tout elle porte un gilet par balle). Quelle insensibilité ! Sans doute que la mort d'une journaliste n'est rien par rapport à l'Hisotire qui se déroule à quelques pas.
(Nous alarmons-nous tant que ça sur la mort des journalistes ? L'armée isrélienne en a tué plus lors de son assaut sur Gaza que dasn tous les autres conflits réunis actuellement, et pourtant, cela ne freine pas le massacre).

Les deux journalistes restant sont à deux doigts de mettre la main sur le scoop de leur vie. Joël ne respecte aucune éthique et interrompe les soldats pour poser sa question au président. Jessie prend la photo. Le film se termine sur un cliché des soldats qui posent avec la dépouille du despote comme une photo de trophée de chasse, cynique (ça rappelle le générique de fin de La nuit des morts vivants).

SOLDIER GAZE

Le film évite jusqu'à l'assaut final de prendre le point de vue des soldats et reste sur celui des journalistes. La guerre n'est pas esthétisée. Les combattants ne sont pas des héros.
Ce qui me dérange, c'est qu'à la fin, lors de la bataille de Washington, on prend le point de vue des soldats. Il y a des plans spectaculaires (vue aériennes des tirs de roquette, les hélico qui survolent les monuments...), de l'esthétisation (la troupe qui avance sur les toits, en contre-jour à la lueur des balles traçantes), des champs/contre-champs entre ceux qui tirent et leurs victime donnant un aspect victorieux, héroïque à l'unité qui pénètre dans la maison blanche.

 

Les fils de l'homme, le plan séquence légendaire

La scène prétend vouloir s'inscrire dans la lignée des fils de l'homme mais me parait plus proche de Call of Duty (attention - je ne fait pas intervenir une réf. de jeux vidéo pour dénigrer ce médium, au contraire, je considère le JV et le ciné comparables et COD est une franchise exemplaire sur cette question). Cette séquence me parait alors osciller entre la continuité de la condamnation de cette guerre et le fait de céder à l'esthétisation de celle-ci (on voit qu'il cherche à convoquer des films qui l'ont inspiré comme Les Fils de l'Homme, Apocalypse Now ou la Chute du Faucon Noir...).
S'il s'agissait de montrer que le point de vue de Jessie avait changé, c'est confondre le propos du film et le point de vue du personnage. Pas besoin que le film adopte le point de vue des soldats pour comprendre que les personnages ont perdu leur distance.

Ne cède-t-il pas non plus à son plaisir de fumer un despote lorsqu'on connait ses préférences. Dans ce cas, le film me parait un peu lâche. Pourquoi avoir tourné autour du pot? En faisant mine de ne pas y toucher comme si ce n'était pas assumé. Aurait-il eu peur en pleine période électorale aux USA?

Ou bien cède-t-il, comme Verhoeven, à la tentation du spectaculaire, en particulier pour répondre aux attentes implicites d'un climax sous forme de bataille finale ? "Faut que ça claque! Un assaut sur Washington (COD MW2), faut des chars, des roquettes partout, des hélicos, des avions, faire péter des trucs etc..." Et il en avait les moyens.

COD MW2 ou scène finale de Cvil War ?


C'est comme si le film changeait de point de vue avec les persos, or c'est le dernier mot du film. Ce qui le rend cynique à mon avis (plus qu'une mise en garde).
C'est le contraire de Dune, qui met les scènes d'action au milieu du film et évite d'en faire des caisses au climax car ce serait faire trop d'honneur à la prise de pouvoir d'un despote.

- Je repense à ce célèbre plan séquence dans Les Fils de l'Homme. La bataille du camp de réfugié (le climax) filmé en plan séquence. Il n'y a pas de champ/contre-champ. On ne prend jamais le point de vue des soldat. Nous sommes toujours à distance, menacé. On ne voit pas bien sur qui ils tirent ou qui leur tire dessus, à part de lointaines silhouettes. Les contre-champ de Garland coupent l'immersion et les plans sur les tireurs sert le langage du conflit. Alfonso Cuaron ne perd jamais son intention, celle de suivre un civil en danger. Non pas de mener un assaut mais de le subir. On insiste sur les victime, pas sur les meurtriers. On voit des civils, des blessures.
- Je repense à la scène de Sicario dans les tunnels. Là, nous sommes du point de vue des membres du commando, et pourtant. Les soldats pénètrent dans les passages souterrains pour éliminer les tueurs d'un cartel. On est derrière les tireurs, on ne voit rien. Il fait nuit, les tunnels sont étroits. Il utilise beaucoup le hors champ. Nous avons la tension, le danger, mais pas la satisfaction de la puissance. Ça reste spectaculaire dans la mise en scène et le graphisme, mais la violence n'est pas esthétisée ou rendu jouissive. C'est froid et sans gloire.
- Je repense à la scène de fusillade finale de l'ordre et la morale. Mathieu Kasovitz a préalablement humaniser les preneurs d'otage. La caméra suit les opérateur du GIGN, on sent la tension, le danger etc... comme pour Sicario, il y a des tirs, on croise des cadavres, mais nous ne nous repaissons pas de mises à mort. Après l'assaut, les victimes sont montrés dominées ou torturées. On ne peut pas trouver cet assaut héroïque.

J'aurais préféré que le ton du film se maintienne. Ce que je déplore, ce n'est pas que la promesse d'un titre et d'une bande annonce ne soient pas respectées. Mais plutôt que j'ai l'impression que le film se contredit, pour privilégier une réponse de qualité moindre. J'ai bien peur que s'il voulait critiquer la guerre, il n'ai livré une scène d'action qui la sert.

Et le public ne s'y trompe pas en argumentant que cette scène d'action spectaculaire vaut bien de se taper l'ennui de ce qui précède. "Ce n'est pas un film d'action mais ne vous inquiétez pas, il y a une bataille qui défonce à la fin". Contradictoire.
C'est tout ce que je voudrais éviter dans mes prochaines œuvres.

Soit le film est anti-guerre et il dérape à la fin.
Soit le film est antifa et il n'assume pas assez.
Soit, il est confus et c'est le risque de perdre la maitrise.
Soit, un truc m'échappe et c'est tout aussi probable. Quelqu'un a une hypothèse qui éclair ce choix de façon logique ?

CYNIQUE WAR

Pour conclure, Civil War n'est pas vide.
Il livre un regard qui n'est pas révolutionnaire, certes, mais qui fait office de rappel et de provocation. Si le film ne parle pas assez de la guerre civile, il en provoque une chez le public. Il révèle les clivages que l'on prétend absent du film. Et c'était surement son objectif. Si on juge un film aux réactions qu'il provoque, ce film a une influence et nous nous sommes fait bolosser. Bravo l'artiste.

Il est très bien réalisé (autant dans la mise en scène que dans la technique), les actrice et acteurs font grave le job. La progression des personnage est très intéressante car elle pousse à réfléchir sur la condition du journalisme (nœud névralgique de nos sociétés) même si les snobs trouveront toujours une œuvre qui a fait mieux (et alors?).
C'est ce qui le rend très politique dans le sens philosophique et non anecdotique (oubliez le contexte on s'en fout). Il penche plutôt vers l'humanisme même s'il peut sembler pessimiste.
C'est encore un de ces films d'auteurs qui s'injecte de l'action, sorte de crossover que l'on peut voir dans Joe, Les Brasiers de la Colère etc...

Je trouve son rapport à la violence contradictoire et contre-productif à la fin.
Ce qui me laisse une impression de cynisme plus que de mise en garde.
La fin est un moment décisif pour les personnages comme pour le sens du récit, il faut s'assurer qu'elle soit cohérente dans le fond comme dans la forme. Je reste assez convaincu qu'on se fout que le contexte soit clair, mais qu'il faut que l'intention du film le soit (ce qui ne signifie pas de donner une réponse. Par contre, la question doit être explicite).

Finalement, le despote est tombé, mais qui prendra le pouvoir? Il y a dans les forces rebelles des types pas très progressistes (boogaloo bois et xénophobes). Quant aux journalistes qui survivent, ce ne sont pas les plus éthiques.
Je suis un petit peu déçu, à moins que je sois passé à côté moi aussi.
Je devrais le revoir.

Certains ont dit que ses interviews étaient plus intéressantes que son film, il y a une part de vérité. Moi je dis que les commentaires et clivages générés par le film sont encore plus intéressantes et justifient à elles seules cette proposition cinématographique.
J'espère qu'il saura être plus explicit sur ses intentions dans ses prochaines œuvres.
Malgré tout, c'est un film qui pousse à penser, qui fait parler. Il traite de sujets importants. On peut s'en saisir. Je le recommande pour tout ça et je continuerais d'accorder ma confiance à Alex Garland qui fait des film de genre qui se dégustent à l'apéritif.

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