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DUNE - RÉSOUDRE LA DISSONANCE CINÉMATO-NARRATIVE

Publié le par Mikeulponk

Dans mes réflexions sur le récit, les dernières adaptations ciné de Dune, par Denis Villeneuve, m'ont apporté pas mal de matière.
Je vais essayer de livrer mes idées et d'expliquer pourquoi je trouve que cette nouvelle adaptation est une œuvre mature et ambitieuse qui pète la gueule à Star Wars.
Mais cela ne semble pas toucher une grande partie du public, s'il n'est pas carrément passé à côté.

SUR UN MALENTENDUNE

Dune est un roman de SF publié par Frank Hebert au milieu des années 60 (en pleine guerre froide).
Frank Herbert avait fait un peu de politique (c'était un réac tendance anti-gouvernemental) et en était ressorti très déçu avec la conclusion qu'il ne fallait pas faire confiance aux hommes providentiels. Il les voit comme des ambitieux qui embarquent les populations dans leurs croisades personnelles de pouvoir et qui sont vite dépassés par les catastrophes qu'ils provoquent.
Avec son premier roman, DUNE, il voulait critiquer les intrigues de pouvoir, le fanatisme et la guerre tout en partageant son intérêt pour l'écologie.
Manque de bol, il a surement surestimé son lectorat car le message n'est pas passé. Ce n'est peut-être pas si évident pour tout le monde que le despotisme, c'est mal. Aussi courageux soit le tyran, ce n'est pas une excuse.
Mais le malentendu est si général qu'on doit reconnaitre que l'auteur n'y est pas pour rien non plus. Il a créé un mythe qui a plus fortement mit en valeur le héros conquérant que le message de mise en garde, un peu trop subtil (et peut-être un peu trop ambigüe, étant donné qu'il est plutôt de droite, un camp à tendance conservatrice mal à l'aise avec la révolte).

La fin des années 60 n'arrange rien avec l'avènement du psychédélisme et du mouvement hippie, séduit béatement par l'aspect mystique.
C'est un échec idéologique aussi amère que son succès commercial (c'est l'un des romans de SF les plus lu au monde).
D'ailleurs, je n'ai, au départ, pas échappé à ce malentendu.

Parmi ses qualités, il y a bien sûr l'univers très séduisant de space-opéra (Spice Opera) désertique avec ses intrigues de cour typiques.
Son univers très empreint d'écologie (Herbert a travaillé sur le sujet de la désertification des côtes aux USA) et dépouillé de technologies informatiques.
Enfin ce côté rétro est compensé par un aspect psychologique (il est psychanalyste Jungien) et politique complexe.
Ce rapport à la technologie (retro) et à la psychanalyse (individualiste et new âge) est ambigüe car ils flirtent avec le lore réac.

Frank Herbert publiera après Dune part1 & 2, des suites pour clarifier son propos (notamment Le Messie de Dune et Les Enfants de Dune). C'est en effet bien plus explicite.
Mais ces suites sont moins suivies par le public qui semble vouloir rester sur le récit héroïque pourtant tant méprisé par l'auteur.
Quand ton œuvre est récupérée pour servir le message contraire à celui que tu voulait faire passer, c'est que tu t'es planté garçon.
Il faut que ce genre d'exemple servent aux auteur.ice.s à prendre conscience qu'un récit doit être clair. C'est à dire maitriser autant dans son fond que dans sa forme. C'est tout le sujet de ma réflexion depuis quelques années.

LA TRAVERSÉE DU DÉSERT

Au milieu des années 70, un auteur farfelu du nom de Jodorowsky veut adapter ce roman (Dieu lui aurait dit de le faire en rêve).
Il ambitionne de réaliser le plus gros film de SF de tous les temps. Mais la démesure du projet le fait logiquement échouer (Voir le docu de 2013 Jodorowsky's Dune).
Pour ce titanesque film, Jodo avait réuni une dream-team de créatifs qui ont pu réinvestir leur travail dans d'autres production plus réalisables tels que Alien et Star Wars. On lui doit au moins ça et ce n'est pas rien. La légende du Jodorowsky' Dune enflamme l'imagination sur ce qu'il aurait pu être. Jodo a pu réinvestir ses idées dans la bande dessinée, en France, avec Moebius (l'Incal) et Gimenez (la Caste des Méta-Barons). Deux sagas mémorables.
Après tout, c'est sans doute mieux comme ça.

En 1984, David Lynch réalise la première adaptation cinéma du roman.
Lynch est à priori bien placé pour mettre en image le trip halluciné que promet Dune, mais les studios ont encore fait la preuve de leur incompétence en sabotant l'œuvre voulu par Lynch (en lui volant le final cut par exemple), qui désavouera le film immédiatement.
En effet, le film est peu compréhensible, carrément expédié en deux heures, avec de nombreuses incohérences (en particulier l'âge du personnage principal) et des effets spéciaux (pitié, les boucliers, les incrustes...)déjà obsolètes pour l'époque (Alien était déjà sorti il y a cinq ans et Blade Runner deux ans plus tôt).
Le truc original du film, à savoir développer une arme à partir de la voix, fonctionnait surement très bien sur le papier, mais à l'écran, je trouve que ça se plante.

 

Il y a cependant quelques éléments mémorables tels que la musique de Toto, une exposition en introduction qui fonctionne, des scènes avec les Harkonens qui font froid dans le dos (ça fait parti de mes frissons d'enfance).

L'adaptation rêvée n'était pas celle-ci et le roman acquis la réputation d'être inadaptable.
À la fois à cause de son récit très littéraire (il n'y a presque pas d'action dans le roman, beaucoup de dialogues internes) et par son univers mystique qui inspire des idées réputées impossibles à traduire techniquement (comme la préscience).

Dans les années 90, une série de jeux vidéos va relever le niveau en maintenant vivante la mémoire de cet univers tout en se payant le luxe de poser les bases du RTS.
En 2000, une série télé tente sa chance et ce n'est pas si mal. Les choix graphiques sont discutables mais au moins le récit prend le temps nécessaire. C'est une adaptation fidèle mais sans courage qui a cependant le mérite d'exister.

Il faudra attendre 2021 pour avoir enfin une adaptation cinéma qui aura l'ambition artistique et les moyens adéquat pour oser s'attaquer de nouveau à ce gros morceau de SF.

D'UNE...

Denis Villeneuve est l'heureux élu qui aura l'honneur et la périlleuse mission d'adapter ce monstre sacré de la SF. Le canadien a commencé dans le documentaire. Sa filmographie propose déjà un style sobre et spectaculaire. Premier Contact est un chef d'œuvre et Blade Runner 2049 la clef qui lui ouvre les portes de Dune.
La confiance était permise.

Lorsque j'ai vu Dune première partie, j'ai été très agréablement satisfait, autant par la forme que par le fond. Je n'avais pas beaucoup d'attente (il valait mieux éviter vu les précédentes déceptions). Mais j'ai kiffé. Je n'avais pas vu un univers aussi séduisant et immersif depuis longtemps au ciné.

Denis Villeneuve a dû faire, avec ses scénaristes, des choix d'adaptation audacieux. Mais je crois les comprendre et j'en valide la plupart.

Le film est ouvert par Chani et non par la princesse Irulan, comme dans le livre et l'adaptation de Lynch.
Irulan était considérée comme la narratrice car elle est la biographe de Paul. Les chapitres s'ouvrent tous par des extraits des livres dont elle est l'autrice (en épigraphes).
C'est un parti prit très significatif d'avoir remit les Fremen au cœur du récit. L'œuvre est placée sous le point de vue des indigènes et non plus des puissances (contre intuitif pour un film américain, surement parce que Denis Villeneuve ne l'est pas - à l'instar de Paul Verhoeven). Cela permet d'attribuer un rôle plus proéminent à Chani. Et c'est l'un des choix les plus forts du films. J'y reviendrait quand on en sera à la partie 2 (où son rôle se déploie).

Irulan n'est pas présente dans la première partie, ni l'Empereur.
Un choix sans doute motivé par la volonté de simplifier un premier volet dédié à l'exposition de l'univers et des enjeux.
Pourquoi présenter des personnages qui, de toute façon, n'auront pas d'utilité immédiate dans cette première partie? Bon choix selon moi. En plus ça garde un peu de surprise sur le casting de la suite.
Autre personnage absent du premier volet, Feyd-Rautha. Pour la même raison, chaque chose en son temps.

Les scénaristes font aussi le choix de privilégier l'ordre des Bene Gesserit, et allègent l'histoire en mettant les Mentats et les autres ordres en fond. Pourquoi pas. Le récit se concentre et ce n'est pas gênant dramaturgiquement. Un peu dommage quand même pour une chose : Thuffir Hawat (Stephen McKinley Henderson). Il a su provoquer ma sympathie malgré son petit nombre d'apparitions.

La trahison du dosteur Yueh (Chang Chen) est basée sur la surprise et nous ne sommes pas convié à partager le dilemme moral du personnage bien plus construit dans le livre.
Le Baron Vladimir Harkonen (Stellan Skarsgard) est traité très différemment du livre. Dans le roman, c'est un personnage excentrique et très bavard qui manipule et calcul à longueur de temps. Les intrigues sont complexes et très poussées. Je reviens sur l'importance de ces deux personnage un peu plus loin.

Autre personnage qui a subit un changement notable, Lyet Kynes (Sharon Duncan-Brewster) qui est devenu un personnage féminin. Très bon choix à mon avis. Ça ne change rien à l'histoire (Kynes n'avait pas besoin de pénis dans l'œuvre d'origine). Un rôle féminin supplémentaire est offert à une œuvre qui en manquait un peu, surtout au début, avant l'arrivée de Chani.
La prestation de l'actrice est bonne, que veut-on de plus?

D'ailleurs, casting de fou, tous les acteurs et actrices sont à la hauteur. Le duc Leto Atréide (Oscar Isaac), Dame Jessica (Rebecca Ferguson), Gurney Halleck (Josh Brolin), Raban (David Bautista), La révérende mère Gaius Helen Mohiam (Charlotte Rampling), Jamis (Babs Olusanmokun)...

Dans le livre, les Sardaukars sont sous uniforme Harkonnen. Mais ils sont démasqués par ceux capable de distinguer leur technique de combat. Sans doute un élément trop difficile à rendre au cinéma (art visuel), donc ils se battent avec leurs propres uniformes. C'est un détail.
Les combats avec les boucliers, qui imposent un coup lent pour le traverser, sont surement très difficiles à mettre en scène. Je regrette tout de même qu'une solution meilleure n'est pas été trouvée. Idem pour "l'Art Étrange du Combat" qui est sensé être un art martial très particulier mais qui ne trouve pas de traduction visuelle spécifique non plus.
Aussi, si un laser touche un bouclier, il y a le risque de provoquer une explosion énorme et de tuer tout le monde aux alentours. Les lasers sont donc utilisés avec une extrême précaution imposant ainsi les combattants à s'affronter à l'arme blanche la plupart du temps. Le film ne s'embarrasse pas de ce détail car il ne veut pas se priver de scènes avec des laser (poursuite de l'Orni de Duncan Idaho (Jason Momoa) dans l'Attaque d'Arrakeen). Mais alors on se demande pourquoi ils ne se tirent pas dessus au laser plutôt que se livrer à des combats à l'épée plus archaïques. D'autant plus que les fusils laser seront plus présent dans la seconde partie.
Mais ce ne sont que des chipotages de forme.

Sur le fond, je reviens sur le choix d'avoir offert aux Fremen d'ouvrir le film, qui permet déjà d'atténuer l'aspect sauveur blanc de Paul. "Qui sera notre prochain oppresseur?".
Ce choix est déjà une preuve que Denis Villeneuve a compris le sens de l'œuvre et il la modernise comme il faut. C'est tout le but d'une adaptation.

On peut noter au passage les moments mémorables tels que cette embuscade Fremen qui introduit le film, qui présente le style très graphique, ces designs empruntant au monde animal, le sound-design qui tabasse avec ses prises de sons réelles...
La scène de l'arrivée des Bene Gesserit de nuit, sous la pluie, avec cette bande son très appropriée. La scène de présentation des Sardaukars sur Salusa Secundus, toujours avec une ambiance musicale terrible.
La présentation de Stilgar joué par Ravier Bardem, très inspiré et juste.
Le sauvetage de la moissonneuse, très réussie.
L'attaque de nuit à la fois épique et anti-spectaculaire, malgré cette scène contradictoire de Duncan en Ornitoptère fuyant un laser (elle est de trop à mon goût mais se justifie, de toute évidence, parce que c'est cool et stylé).

La volonté de simplifier le récit pour le rendre compréhensible et accessible sans trahir l'esprit de l'œuvre est une réussite selon moi. La réduction des explications sur certains éléments de l'univers n'est pas dérangeante et ne fera grincer des dents que les puristes. C'est un film destiné à un large public qui ne connait pas forcément l'œuvre d'origine. Il ne remplace pas le roman. Les deux ont leurs atouts et se complètent à merveille.

Mais je regrette tout de même deux choses. D'abord le traitement de Yueh.
Nous mettre dans la connivence de son calvaire aurait renforcé l'aspect cruel de l'univers, caractérisé plus finement le Baron et installé un peu d'ironie dramatique. La trahison est un peu téléportée et on frôle le cliché de l'asiatique fourbe. Regrettable.
Ensuite, le traitement du Baron et des Harkonnens en méchants brutaux et caricaturaux m'irrite. Le Baron est inquiétant esthétiquement mais il n'a pas l'ampleur du roman. Il ne passe pas pour un être aussi intelligent que dans le livre. Cela ôte une grande part de la subtilité et de la nuance du récit. Dommage. Même la référence évidente à la présentation du colonel Kurtz dans Apocalypse Now ne suffit pas à remplacer les scène qui auraient pu le caractériser plus finement. Par contre, c'est bien d'avoir viré l'aspect homophobe de sa caractérisation présent dans le livre (Herbert était homophobe et en conflit personnel avec son fils à ce propos).

En conclusion, à la première vision, j'ai été totalement plongé dans cet univers.
J'ai adoré les choix graphiques et sonores (musique et sound design). Denis Villeneuve avait raison de dire que regarder Dune sur un petit écran, c'était comme faire du hors-bord dans une baignoire.
J'ai su apprécier les choix d'adaptation au lieu de me braquer comme un fétichiste borné.
J'ai lu des critiques qui reprochaient au film une lenteur typique du style de Villeneuve. Il m'a semblé qu'il y avait des longueurs mais je n'ai pas vu les 2h30 passer. J'avais aussi regretté une faiblesse dans l'intégration de la musique, qui m'avait semblée plus jouissive à l'écoute préalable (la bande son était sortie avant le film).
Quant aux différences notables avec le roman, je n'avais pas pu m'empêcher de les remarquer et d'y réfléchir pendant mon visionnage, me sortant temporairement du film. Sans grande conséquence parce qu'il arrivait à me recapturer très rapidement.
Lorsque je l'ai vu une seconde fois, tout ce qui m'avait gêné avait disparu. À part le traitement du Baron. Pour une œuvre qui se veut un Star Wars pour adulte (et moi je dirais même un anti-Star Wars), c'est vraiment le défaut du film d'avoir des méchants aussi clichés.
Mes gênes à la première visions étaient grandement dû à ma connaissance du récit. J'en était débarrassé pour la seconde vision et j'ai donc pu profiter du film.

Beaucoup de critiques se sont portées sur le traitement de Paul (Timothé Chalamèche).
Trop dépressif et suscitant peu d'identification. Beaucoup de spectateur.ice.s disent être restées à l'écart, voir insensibles aux personnages.
Je crois que personnellement, je comprend l'état de Paul. Ce sentiment de mélancolie face à un rôle et un destin tout tracé dans un monde qui le dépasse me semblent justifié. C'est un sentiment à rapprocher de celui éprouvé par les nouvelles générations confrontés à l'inéluctable destruction annoncée du monde tel qu'on le connait. Paul est accablé par son destin comme on est démuni face au changement climatique, ou à un monde politique hermétique et de moins en moins démocratique (élitiste et autoritaire). C'est un monde où des vieux ont décidé pour toi de ce qui allait se passer, en dépit du bon sens. C'est un piège mortel (existentiel) qu'on voit se refermer sur nous, sans qu'il ne paraisse possible de le déjouer. Une tragédie pure.
Denis Villeneuve est en effet réputé pour son style et ses œuvres profonde, mais pas pour sa capacité à l'empathie sur les personnage ou les grandes émotions, ni pour maitriser l'action grand public.
Je dirais plutôt, en ayant l'impression de partager sa sensibilité, qu'il s'agit d'un registre d'émotions plus subtiles, suggérées, mélancoliques, qui cohabitent avec une personnalité à tendance intellectuelle. Ce n'est pas qu'il ne ressent pas, mais il ressent différemment. Je crois.

Je passe sur les critiques peu constructives à propos d'une SF qui ne saurait plus rêver, de peine à jouir... Je pense que celles et ceux qui disent ce genre de bêtises devraient commencer par s'adresser ces remarques. D'essayer de critiquer une œuvre en se demandant pourquoi l'artiste à fait ces choix, qu'a-t-il ou elle voulu dire et si c'est réussi, plutôt que de se contenter de bouder parce que l'artiste n'a pas fait ce que on aurait voulu. Autrement dit, ce n'est pas parce que ça ne vous plait pas que c'est mauvais. C'est peut-être vous qui n'avez pas compris, ou qui avez des goûts de chiotte.
L'œuvre n'est pas parfaite, il est légitime d'avoir des critiques (c'est le cas ici). Mais étant donné l'intention de l'œuvre d'origine, et la vision du réalisateur, je crois bien que le film est une adaptation réussie.

Cela dit, la fin de cette première partie, un peu expédiée, ne pouvait que nous laisser sur notre faim. Nous avons vu une introduction prometteuse. Il faudra attendre deux ans pour savoir si Denis allait tenir ses promesses.

... ET DE DEUX

Je l'attendais mais je me suis vraiment méfié de mes attentes. J'ai évité de regarder la bande annonce.
Tout ce que je souhaitais, c'est qu'on ne s'arrêta pas au mythe de Paul et qu'on conserve la critique initiale des figures héroïques. Le film ne m'a pas déçu.

Il y a aussi de grandes différences dans cette deuxième partie.
Cette fois-ci, Irulan introduit le film et l'Empire fait son apparition. Des seconds rôles sobres mais bien utilisés. Le casting est top (Christopher Walken et Florence Pugh).
Feyd-Rautha (Austin Butler) également. Qui ne rattrape malheureusement pas les lacunes de la caractérisation des Hakonnens. D'autant plus que le parallèle avec le nazisme est surligné (défilé militaire et slogans "blood and honor"...). Je ne suis pas d'accord pour simplifier la nazisme dans des caricatures de brutes sanguinaires bêtes et méchantes. Ça nous empêche de comprendre ce qu'était réellement le nazisme et nous condamne à ne pas le voir lorsqu'il se réincarne sous notre nez (aujourd'hui plutôt costard cravate que bottes et batterie de cuisine).

À l'issue du premier visionnage, j'ai eu l'impression que l'apprentissage Fremen de Paul était un peu expéditif et la relation avec Chani précipitée. Mais au deuxième visionnage, ça ne pas m'a pas gêné.
Décidément, Dune (partie 1 comme 2) mérite un second visionnage pour être pleinement apprécié.

Les designs nous régalent de nouveau et le son est un atout majeur à ne pas sous-estimer.
Faut le voir au ciné vraiment!
Rien que pour la salle qui tremble à cause du son qui vous fait ressentir les vibrations du sable pendant les scène de chevauchage de vers.
Scène qui par ailleurs aurait pu être très kitsch lors de la bataille finale mais qui fonctionne à fond (des guérilleros shooté à l'épice foncent sur des vers géant en pleine tempête de sable après avoir fait explosé une montagne avec une bombe nucléaire pour péter la gueule à une armée de viking intergalactique).
La scène d'intros avec les soldats Harkonnens qui lévitent est glaçante. Par comparaison, les stormtroopers dans Star Wars ne m'ont jamais fait peur.

La scène de l'attaque de la moissonneuse, très jeu vidéo, prouve que, s'il le veut, Denis Villeneuve peut nous livrer une scène d'action avec une dramaturgie interne digne d'un Indiana Jones. On doit alors comprendre que s'il ne le fait pas, c'est qu'il y a une bonne raison.
Les costumes (en particulier des révérendes mères) sont somptueux.
Bref côté univers et production-design, Denis Villeneuve nous régale une fois de plus.
Il y a cependant un problème de cohérence au moment où Feyd reprend le commandement à Raban. Il suffit à Feyd d'arriver et d'attaquer une montagne (le Siecth Tabr) pour se rendre maître du nord. Je comprend mal ce qui a empêché Raban de le faire, ou ce que Feyd aurait fait de spécial pour obtenir de meilleurs résultats. Ce n'est pas clair et ça donne une impression de débilité, du genre, "il suffisait de faire ça? Pourquoi ne l'a-t-il pas fait avant?", bref.

Quittons la forme pour s'occuper du fond.
Il y a quelques différences d'une grande importance qui, pour moi, donnent une grande valeur à cette version de Villeneuve. Les Personnages de Chani et de Stilgar qui livrent un propos critique et moderne sur la religion en adéquation avec les intentions d'Hebert sans être aussi ambiguë que l'auteur d'origine. En fait, plus sympathique (et empathique) avec les révolutionnaires.

Dans le livre, Chani est une femme dévouée à son mari. Son rôle est un rôle de légitimation morale au sein de la tribu. Elle donne naissance à la descendance. Elle l'accompagne en bonne épouse et reste dans son ombre.
Un rôle proche de celui de Neytiri dans Avatar 2 (film dégoutant de patriarcat).
Chani (Zendaya) est le personnage qui sauve le propos du récit. Le livre n'avait pas été clair car il contredisait son intention en attribuant à Paul un parcours héroïque sans alternative pour juger de sa dérive. Chani incarne ce regard critique et permet aux spectateur.ice.s de s'identifier à un parcours plus représentatif du propos que le récit a pour ambition de servir.
Un personnage qui garde sa force et son intégrité. Chani est le potentiel personnage principal de cette nouvelle adaptation. On glisse au fur et à mesure vers son point de vue tandis que Paul s'éloigne de nous.
Très grande réussite à mon avis.

Il est possible que l'échec de Herbert soit dû à ses opinions réactionnaires car tout aussi anti-gouvernemental était-il, il était aussi très hostile aux révolutionnaires. En gros il critiquait le système mais n'avait rien à proposer. Ce qui donnait à son livre un ton pessimiste et misanthrope tandis que Chani a le potentiel d'incarner l'énergie révolutionnaire de la jeunesse face aux despotismes.

Quant à Stilgar. Charismatique dans le premier volet, sa ferveur béate le rend pathétique dans le second. Un traitement comique inattendu qui a fonctionné sur moi.
Il est attachant par son côté presque enfantin. On rit d'abord avec la jeunesse septique. On s'inquiète ensuite quand Jessica attise le mythe et que les visions de Paul présagent du pire. Enfin, on fini terrorisé par cette religion qui est passée du folklore à un fanatisme génocidaire cosmique en clôture du film. Tout le propos est porté intelligemment par le trio Paul, Chani, Stilgar. Et l'interprétation des acteur.ice.s fait grave le job.

Je regrette une absence dans le film : Alia.
Elle a du être mise de côté pour les mêmes raisons qu'Irulan et Feyd-Rautha l'ont été de la première partie. La concentration de l'intrigue.
Or, cette fois-ci, je me demande comment ils vont pouvoir rattraper ce dont cette absence nous prive. Alia était sensée souffrir de la mort de son petit frère (absent aussi) et tuer le Baron Harkonnen (alors qu'elle n'est qu'une petite enfant). Ce qui lui provoquera dans la suite des tourments centraux dans l'intrigue. Nous sommes privés d'une scène très puissante et on verra comment ils comptent rattraper ça. Pour l'instant, ils ne m'ont pas déçu.

Bref, j'ai kiffé et je suis soulagé que l'œuvre ait respecté le propos qui justifie son existence.
Le scénario est épuré mais il est d'autant plus compréhensible et puissant. Les acteur.ice.s remplissent leur mission à merveille. Le monde créé par Villeneuve rend hommage à l'univers créé par Frank Herbert et égale Mad Max Fury Road ou le Seigneur des Anneaux dans les sagas monde spectaculaires. Dune a enfin une adaptation qui permet d'apprécier ce que cet univers a à proposer de spécifique. J'ai hâte de découvrir la suite qui achèvera surement de clarifier l'enjeu (peut-être un peu plus d'écologie) et aura sans doute un impacte sur notre culture à cette époque de retour des despotes et des fanatismes religieux ou politiques apocalyptiques.

STAR WARS C'EST POUR LES BÉBÉS

Voilà maintenant ce que je retire de ces deux films dans ma réflexion sur le récit.
J'ai découvert Dune aux alentours de ma dizaine avec le film de Lynch. J'ai donc connu ce récit comme une aventure héroïque exotique.
J'ai approfondit mon attachement à cet univers en dosant le jeu Dune 2000 (RTS sorti en 1998). Campagne de gestion et conquête classique.
Vers seize ans, j'ai voulu me réconcilier avec la lecture. J'en avait été dégouté par l'école et j'avais bien le sentiment qu'en me privant de ce médium je passais à côté de quelque chose. Pour reprendre avec une œuvre qui saurait capter mon attention, je choisi Dune.
Il faut avouer que ça n'a pas été facile. Ce n'est pas un livre simple. J'avais eu du mal à me concentrer. Mais j'ai fini par y arriver. J'ai d'ailleurs pu aller plus loin que le récit proposé par le film de Lynch car j'ai lu les deux suites directes bien plus explicites.
J'étais devenu un petit punk et donc prêt à accueillir cette vision critique du pouvoir.
Mon attachement n'en fut que plus renouvelé.

Vers la trentaine, je l'ai relu et j'ai même commencé à travailler dessus pour en faire une adaptation en BD car j'estimais, comme la majorité des amateur.ice.s du roman, qu'il n'avait pas encore été adapté à la hauteur de son potentiel (J'ai fait quelques essais en dessin mais je n'avais clairement pas le niveau pour développer un tel univers).
Puis vint l'annonce d'une adaptation par Denis Villeneuve.
Ce qui relança mon intérêt, m'y replongeant muni du MOOK sorti en 2020.
Je suis très satisfait des deux films sortis en 2021 et 2024. J'attend avec impatience la suite qui devrait sortir quatre longues années plus tard.

Peu avant (en 2019), une fameuse saga venait de terminer un nouveau cycle. La troisième trilogie Star Wars. Cette nouvelle trilogie m'a tant déçu que ça m'a surement permis d'apprécier d'autant plus Dune.
Le premier volet, l'épisode VII, le réveil de la force, était un remake de l'épisode IV, un nouvel espoir (ma trilogie de référence). On sentait bien qu'il fallait resservir un doudou aux fans et cela m'a passablement ennuyé. Mais elle apportait un potentiel narratif avec le personnage de Kylo Ren.
Dark Vador était un gentil qui voulait être méchant alors que Kylo Ren est un méchant trop gentil (c'est simplifié, mais pas tant). Bref, un premier volet bien foutu visuellement, mais assez vide et sans audace. Il avait cependant l'avantage de ne pas avoir trop monté les fan contre lui, il pouvait donc se permettre de tenter des trucs dans la seconde partie.
Et en effet l'épisode VIII, les derniers Jedi, tente des trucs. Il remet totalement en question la figure héroïque de Skywalker. C'est un parti prit très moderne (même post moderne et méta), et sans doute inspiré par Dune. J'ai beaucoup aimé cet aspect de désacralisation du héros. Mais ce n'est pas le cas des fétichistes benêts qui ont incendié le film. Disney, qui produit le film, n'a pas la moindre conviction. Ils veulent juste faire du fric. Ils ont donc cédé aux fans et fait en sorte qu'on resserve de la soupe aux bébés starwarsophiles. Tout ça pour que le troisième volet déçoive tout le monde car il est un énième produit commercial à grand spectacle sans portée, indigne du devoir que la SF doit remplir et tant que genre narratif.

Denis Villeneuve a eu le courage et la liberté de faire ce que Star Wars a loupé. Livrer un récit moderne et profond. Qui parle de politique sans prendre son publique pour des neuneus.

NOBLE CAUSE OU CAUSE DE NOBLE ?

J'ai personnellement entreprit il y a quelques années une forte remise en question de mes propres schémas narratifs. (voir cet article où j'entamais ma réfléxion ça commence au tier de l'article à partir de "La relation entre éthique et esthétique dans la création artistique est un dilemme qui me taraude depuis longtemps").

En relisant un vieux scénar de SF, je me suis rendu compte qu'il était ultra ringard. Plein à craquer de toutes mes refs de SF sans digestion. C'était un mélange de Mad Max et de Dune avec du zombi à la Romero. Or les temps et mes opinions politiques ayant changés. Les récits colportés par ces films (une espèce d'angoisse bourgeoise et xénophobe qui valorise le héros viril individualiste) ne m'intéressent plus du tout, au contraire, je les combat.
La période du COVID a achevé de me faire réaliser les dégâts causés par ce genre de récits qui influencent nos comportements. Les récits sont des pré-scénarisations à prendre au sérieux.
Les questions étaient donc multiples. Comment faire un récit stimulant et divertissant sans passer par le schéma habituel du héros triomphant ? Sans décrire un parcours individuel ? Sans transmettre une vision du monde anxiogène de dégénérescence regretté d'un empire idéalisé ?

Mon éthique et mon idéal m'impose de trouver un récit de SF collectif et constructif pour nous donner de la puissance et nous permettre d'imaginer un futur progressiste.
Mon récit historique doit critiquer la guerre sans l'esthétiser, contrairement à Starship Trooper ou Apocalypse Now, pour ne citer qu'eux. C'est une véritable dissonance entre l'intention, à priori critique de la guerre, et le procédé qui en utilise tous les outils valorisants.
Une sorte de dissonance cinémato-narrative. Je reprend le concept de dissonance ludo-narrative dans le jeu vidéo (Conflit entre le récit d'un jeu vidéo raconté à travers l'histoire et le récit raconté à travers le gameplay - éternelle problématique de la cohérence entre le fond et la forme) et l'art impossible de Geoffroy de Lagasnerie.
Matrix, Resurrections, quatrième volet, livrait une réflexion méta sur ce sujet avec beaucoup d'intelligence et d'impertinence.
Ce problème de cohérence forme/propos me paraissait potentiellement insoluble.

Dune me semble avoir réussi sur certains points.
Il investit le spectaculaire non pas dans l'héroïsme mais dans l'univers et la mise en scène.

Par exemple, dans le premier volet, lors de l'attaque du spatioport par les Harkonnens, au moment où les deux armées vont se rentrer dedans, un vaisseau se crash au premier plan et masque le bataille par une boule de feu.
Le contraire de ce qu'aurait fait un blockbuster de super-héro où on est sensé prendre son pied en assistant au choc (bagarre!). Habituellement, on a le coup et l'impact. C'est ce qu'on voit dans le Seigneur des Anneaux avec les deux armées qui rentrent en contact. Que serait Apocalypse Now si on ne voyait pas les impacts des roquettes tirées par les gunships lors de l'attaque du village. Ou les scène de fusillades si on ne constate pas que le personnage à atteint sa cible et triomphé son ennemi.
Justement, on a le mouvement épique, mais pas la satisfaction de l'aboutissement de la violence. Comme un coït interrompu juste avant l'orgasme.
Il nous empêche de jouir de ce qu'il veut dénoncer, c'est tout l'enjeu et c'est réussi.
Mais ce n'est pas le cas tout le temps. Sans doute parce que le cinéma est une impasse et qu'il faut donner aux studios un minimum pour qu'il fiche la paix au réal.
La bataille de fin est réduite au minimum. Le Seigneur des Anneaux fait durer la bataille finale sur un tiers du film. Là ou un film basique de super héros ne fait que du remplissage entre les scènes d'action, Villeneuve se désintéresse de la baston. On a compris, pas besoin d'en montrer plus.
C'est anti-spectaculaire et le contraire de ce à quoi à été habitué les spectateur.ice.s. C'est osé mais cohérent.
Beaucoup ont été frustrés et n'ont pas compris le sens de ce choix. Un grand nombre de critiques préfèrent remettre en cause les compétences du réalisateur que d'interroger leur frustration de ne pas avoir pu se repaitre d'un massacre. D'autant plus dans une œuvre qui te dit explicitement que ce n'est pas bien de faire la guerre parce que ça permet à un tyran de prendre le pouvoir.

On termine le film avec un empereur humilié, mais avec un héros qui a trahis ses amis pour déclencher une guerre atroce en son nom. On comprend normalement que l'univers n'a pas gagné au change, ou que le remède va finalement être pire que le mal qu'il était supposer soigner. Chani ouvre et ferme ce dytique pendant que les autres s'en vont massacrer hors champ. On la suit dans le désert car c'est elle qui est restée intègre et juste. C'est elle l'héroïne moderne.
Elle se bat pour une cause, des idées nobles, contrairement à Paul qui se bat pour sa seule cause, celle d'un noble.
Moi, je suis Team Chani.

Je vais devoir m'inspirer de ça pour mes propres œuvre et j'aurais une chance de fournir un récit fun, puissant mais cohérent, plutôt que dissonant et contraire esthétiquement à mon éthique artistique.

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