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soldier gaze

GUERRE LAND

Publié le par Mikeulponk

Le dernier film d'Alex Garland, Civil War, m'a beaucoup plu. Mais j'ai de grosses réserves sur la fin à propos de la dissonance narrative.

ERREUR SUR LA MARCHANDISE

D'abord, je suis allé le voir parce que j'ai confiance en Alex Garland suite à ses précédents films. Le C.V. est copieux :
Il a écrit le roman La Plage, adapté par Dany Boyle avec qui il bosse de nouveau sur 28 jours plus tard et Sunshine dont il est le scénariste. Il scénarise aussi Never Let Me Go.
Puis il passe à la réalisation avec Ex Machina, Annihilation, Men et la série Devs (souvent oublié dans sa bio alors que c'est super).
Donc quand il propose un film sur une potentielle guerre civile aux USA, je trouve le sujet surprenant. Il semble plus tourné vers des sujet SF ou fantastiques mais je suis curieux de voir ce qu'il peut tirer d'un tel sujet (surement pas ce à quoi on s'attend, les gens auraient dû s'en douter).

Les critiques sont soit dithyrambiques (parfois pour des raisons limites), soit déplorables (souvent parce que les critiques n'ont rien pigé).
Autant le dire tout de suite, ce n'est pas un film d'action ou de guerre classique.
Celles et ceux qui s'attendent à ça vont probablement être déçus.
Le problème, ce n'est pas le film, ce sont les attentes.

Il faut reconnaitre que nommer un film Civil War et le faire se dérouler aux USA à notre époque, ça crée des attentes évidentes. La bande annonce confirme ces attentes. C'est assez normal que le public puisse se sentir trompé (C'est pourquoi je ne regarde presque plus les bandes annonces. Soit elles vendent un autre film et induisent en erreur - c'est le cas présent - soit elles spoilent carrément les meilleurs moments et des éléments important de l'intrigue, gâchant les effets de découverte).
Pour autant, cette déception ne devrait pas durer. On dirait qu'une partie du public n'a pas su se détacher de ses attentes et a attendu tout le long du film qu'on lui serve ce qu'il attendait. Quand on est face à un film, on devrait vite se dire "je vais regarder le film et voir ce qu'il me propose". Comme ça, si le film n'a finalement pas servit ce à quoi tu t'attendais, tu ne t'es pour autant pas empêché d'en profiter.
Quand on paye un certain prix (plus de 10 balles à Paname quand même!) on se met en condition de ne pas regretter son investissement (je crois que pas mal de critique ne payent pas leurs places de ciné, ils peuvent se permettre de cracher dans la soupe).
On est un public, pas des consommateurs.
Le film est une proposition, pas un produit sur mesure.

Je crois qu'il vaut mieux avoir un minimum d'ouverture d'esprit face à une œuvre non ?
Je trouve beaucoup des critiques désagréablement capricieux.

J'ai entendu (ou lu) plein de critiques qui lui reprochent de ne pas être clair sur le contexte. "C'est nul, il ne dit pas pourquoi y'a la guerre".
On s'en fout! C'est peut être pas le sujet! Je suis parfois désespéré devant la bêtise de ces commentateurs autoproclamés qui prétendent être légitimes et compétents pour critiquer un film alors qu'ils ne sont pas capables de comprendre une œuvre qui n'est pourtant pas spécialement subtile. Avec cette arrogance de dire "si j'ai pas aimé, c'est que c'est mauvais. Si j'ai pas compris, c'est que le réal est bête".
C'est plus probablement l'inverse.
Je trouve que le film est pourtant clair dans son parti prit narratif. Mais, si on est passé à côté, avant d'ouvrir sa gueule, la moindre des chose est d'aller se renseigner sur les intentions du réalisateur.

Il est britannique et veut parler des dangers de la monté de l'extrême droite qui mène tôt ou tard à la guerre. Il veut qu'en voyant le film, on ne se limite pas aux USA, éviter les réactions du genre "ça peut arriver aux USA, mais pas chez nous". Il veut qu'on se pose la question sur notre propre situation de pays occidental (L'ukraine nous rappelle que nous ne sommes pas à l'abris).
Pour ce faire, il ne faut pas trop préciser le contexte pour ne pas trop le limiter.
D'habitude, pour faciliter les choses, on utilise la science fiction pour brouiller les pistes (exemple District 9) ou le fantastique pour symboliser (exemple La nuit des morts vivants, ou Blood Punks:)). Genres de prédilection de Garland.

Ce n'est donc pas un film sur une "guerre civile aux USA", c'est un film qui met en scène une guerre civile, et qui prend comme contexte les USA, pour provoquer un choc narratif.
Cela dit, c'est peut-être une erreur d'avoir choisi les USA.
Il dit avoir fait ce choix parce que les USA vont parler à plus de gens internationalement (plus que l'Angleterre son pays d'origine). Mais ce choix c'est retourné contre le film car il a sous-estimé le rapport à ce pays qu'on observe trop. Peut-être que ce choix a aussi été préféré pour choper du financement (l'industrie la plus puissante du monde a du mal a financer des film qui ne se place pas dans son propre pays) et garantir un certain nombre d'entrées.
Il est certain que si le film se déroulait en Espagne, il n'aurait pas autant attiré l'attention.

Et il faut se poser la question sur le fait que ce sont les bourgeois qui ont le plus la parole, qu'on entend le plus et qui conspuent le film (les critiques du Masque et la Plume à propos des grands classiques de la pop culture sont des exemple limpides de mépris de classe et de snobisme qui rivalise avec leur ignorance et leur arrogance). Les bourgeois ne sont, par définition, pas de culture populaire (la distinction se joue dans la culture avant tout). Or Garland, c'est du ciné de genre pop. Ce n'est jamais révolutionnaire. C'est du film grand public qui cherche à flirter avec l'intello (que certains appellent avec un peu de mépris "l'elevated gender").
Pas assez élitiste pour les bourges et trop sérieux pour les ploucs.
Ce qui lui vaut d'être qualifié de prétentieux (soit parce qu'il n'atteint pas le niveau de sophistication selon les premiers ou se donne des airs de valoir mieux que les seconds).

On ne peut pas nier que Garland est un passionné. Il tente des trucs et s'amuse avec son médium et ses références, détendez-vous, ça va aller.

Arrêtons de parler d'un film qui n'existe que dans les fantasmes de gens obtus et venons-en donc au vrai sujet du film sorti en salles.

ROAD OF WAR

Laissons lui une chance et voyons ce qu'on peut en tirer.
C'est un film sur le journalisme en forme de road movie. Le récit va donc se concentrer, non pas sur le contexte, mais sur l'expérience humaine.

Pitch : Dans un futur proche, une guerre civile déstabilise les USA. Les deux grand états que sont la Californie et le Texas se sont alliés contre le gouvernement de Washington et ses soutiens.
Un groupe de journalistes de guerre vont tenter de rejoindre Washington pour interviewer le président avant qu'il ne soit vaincu par la rébellion.
La petite équipe est constituée de trois générations. Un duo de journaliste pro en plein pic de leur carrière. Lee (Kirsten Dunst) est une photojournaliste vétérane (sans doute un peu marquée par les conflits qu'elle a couvert) qui n'a pas peur des points chauds. Elle est accompagnée de  Joël (Wagner "Pablo Escobar" Moura) un journaliste interviewer tête brûlé, accroc à l'action et à divers substances.
Ils embarquent Samy (Stephen McKinley Henderson - Dune, Devs...) doyen du journalisme de presse écrite, vieux sage baroudeur et mentor de Lee, ainsi que Jessie (Cailee Spaeny - Devs) une jeune novice qui veut rentrer dans la profession aux côtés de son idole contemporaine.

Le road movie est un procédé faisant passer les personnages par des séquences souvent décolérées qui confrontent et changent les personnages. C'est le fameux parcours initiaque. Le fil scénaristique n'est pas nécessairement la logique et la cohérence des évènements entre eux, mais la progression psychologique des protagonistes au contact des situations, souvent inattendus, qu'ils traversent.
C'est un procédé efficace étant donné le contexte de guerre et de journalisme. On passe effectivement d'une séquence à une autre, d'un point de vue à son inverse. On peut rencontrer l'absurde. Ça contribue à donner un sentiment de chaos typique (des conflits armés et d'autant plus des guerres civils) recherché par le film. Ça permet aussi de traiter la complexité du monde et la diversité des points de vue.
C'est un procédé narratif classique, pas nouveau, qui ne plait pas à tout le monde (en effet, c'est un cadre opposé au principe d'unité de temps et de lieu dans le scénario qui donne une ambiance parfois décousue, étirée ou confuse). Pourtant, certains se permettent de le juger sans l'avoir compris. Un peu de recul et de modestie ne ferait pas de mal.

FRONT RÉPUBLICAIN ?

Parlons un peu du contexte maintenant, car Garland nous donne quand même des indices.
On sait que le président fait son troisième mandat, ce qui n'est pas digne d'un pouvoir démocratique. Les mandats étant limités à deux dans toutes les républiques qui veulent paraitre un minimum démocratiques. On sait qu'il a dissous le FBI, une organisation fédérale, sans doute trop gênante. Qu'il fait bombarder les civils et fait tirer sur les journalistes. Qu'il raconte n'importe quoi dans sa propagande.
On comprend donc que ce président est un facho inspiré de Trump.
On nous dit aussi que le Texas et la Californie se sont alliés contre un usurpateur de la démocratie Américaine. On comprend donc que ces deux états, opposés politiquement (le Texas est de droite et la Californie de Gauche), ont mit de côté leur polarisation pour combattre un ennemi commun plus important : le fascisme.
Cet élément de contexte pousse les observateurs qui s'improvisent politologues des USA à affirmer que c'est invraisemblable. De fait, ils prouvent qu'ils n'y connaissent rien aux USA. Déjà, tout est possible (Trump merde!) et enfin, dans la scène d'escarmouche urbaine, l'unité suivie par le groupe de journalistes est sapée avec des chemises hawaïennes en référence à une milice d'alt-right américaine : le mouvement boogaloo.

Boogaloo Bois, Magnum conspi surarmé

Très antigouvernemental, dans le sens complotiste libertarien, pensant que le "deep state" veut s'attaquer à la constitution, notamment en durcissant les lois sur les armes à feu. Mouvement cependant très confus, à la fois majoritairement pro-trump (surtout depuis la crise COVID), qui contient des suprémacistes comme des alliés du mouvement black lives maters. Bref, ils n'ont pas l'air d'être gênés par la polarisation car ils semblent se concentrer sur la haine du gouvernement et leur désir de guerre civile. Ce mouvement, directement cité, valide le postulat de Garland sur une potentielle alliance du Texas et de la Californie, par le biais de ses milices armées (ceux qui tiennent les armes décident souvent).

Pour ceux qui disent qu'on ne sait pas pourquoi la guerre civile a éclaté, Alex Garland leur répond qu'on sait très bien pourquoi et qu'il n'a pas besoin de le dire. Un peu de jugeote. À moins que ce ne soit trop difficile de réfléchir quand on a prit l'habitude d'éteindre son cerveau devant un navet au budget pharamineux ou devant une série qui explique tout comme si on était débiles. Ça c'est la touche A24. Ils t'appâtent avec un blockbuster guerrier sur un pays qu'on adore détester pour te livrer un road movie critique sur la démocratie via une descente aux enfer d'une bande de journalistes borderline.
Je mets au défi ces gland de me prouver qu'après avoir vu le chef d'oeuvre Apocalypse Now (ou n'importe quel film de guerre reconnu) ils pouvaient m'expliquer pourquoi il y a la guerre dans le contexte choisi par le film.

 

Apocalypse Now - guerre civile ?

Apocalypse Now est une adaptation du roman Au Coeur des Ténèbres de Conrad qui se déoule au Congo. Ceux qui sauront expliquer la guerre du Vietnam ne l'on pas apprit dans le film (ni dans Voyage au Bout de l'Enfer ni dans Full Metal Jacket...)
Autre détail à propos du film de Coppola. C'est Willard, un américain, qui doit aller tuer Kurtz, un autre américain, qui se bat avec des américains, des vietnamiens et des cambodgiens contre des vietnamiens et des américains. Qui tire sur qui ? N'est-ce pas une guerre civile tout aussi confuse que celle décrite par Garland ?
Pourquoi les Américains sont intervenus en Somalie dans La Chute du Faucon Noir ? Lors de quelle bataille se déroule le film Croix de Fer ? Qu'est-ce que les Amerlot foutaient sur cette île, et quelle île, dans La Ligne Rouge ?...
En gros, les américains peuvent aller buter n'importe qui à l'autre bout du monde sans qu'on ai besoin de savoir pourquoi, mais si des occidentaux se tuent entre eux, alors il nous faut des explications.
Garland traite la guerre aux USA comme nous avons l'habitude de traiter les conflits en Afrique, et ça nous déstabilise. Bien joué.

Alex Garland est prudent car si on veut que le film ai une bonne durée de vie, il doit s'adapter aux lieux et à l'époque où il sera projeté (et pas tourné). On ne peut pas affirmer un déclencheur précis qui figerait les évènements dans un espace-temps (après tout, qui aurait pu prédire les gilets jaunes, la crise COVID ou le réchauffement climatique?:)). Le récit doit pouvoir être mobilisable en prenant en compte que les circonstances sont des détails par rapport au schéma. Le sujet politique est plus philosophique qu'historique.

Si c'était en France que se déroulait le film, on aurait pas besoin non plus de préciser, on le sait bien. Les fachos conflictualisent la société, la divise, pensent en terme d'ennemis et ne laissent pas d'autre choix que la soumission ou la rébellion.

D'un côté, je suis plutôt content qu'un film de cette importance tende vers l'antifascisme.
D'un autre, si on pense que Garland ne voulait pas limiter son propos aux USA, je ne suis pas convaincu par cette histoire de dépassement des polarisations dans d'autres contextes.
Je ne crois pas au dépassement des clivages gauche/droite dans le cadre d'une guerre civile en Europe. En France, pendant l'occupation, la résistance voyait des communistes combattre les nazis aux côtés de nationalistes d'extrême droite. C'était possible car il y avait un envahisseur.
Dans le cas d'une guerre civile, c'est justement cette polarisation qui mène à la guerre en général (d'autant plus en Europe de nos jours où l'extrême droite est sur le point de conquérir les institutions avec l'aide de la droite tradi).
La droite sera toujours plus du côté de l'extrême droite que de la gauche.
À l'époque c'était "plutôt Hitler que Bloom", aujourd'hui c'est "plutôt Lepen que Mélenchon". Ou encore, "plutôt les identitaires que les wokes". C'est le chemin que prend notre droite nationale (de Macron à Zemmour).
Mais bon, ne limitons pas notre réflexion à ce genre de spéculations car ce n'est vraiment pas l'intérêt du film.

ENNEMI INTIME

Je me rapproche maintenant de ce qui m'obsède personnellement, le rapport entre l'intention et la forme. Sont-elles cohérentes?
Alex Garland commence avec un style très proche du sol. Presque documentaire. Très subjectif. On comprend le positionnement des protagonistes et le film évite de nous mettre à la place des soldats. Le journaliste conserve toujours un regard extérieur, et critique.
Le film cherche à brouiller les pistes et refuse de désigner le camp des rebelles (pour lequel il a de la sympathie) comme le camp des gentils. La situation est cruelle et complexe.
Elle met à l'épreuve l'intégrité et l'éthique du journalisme.
Si la situation était clair, ce serait trop facile. Ce n'est justement pas une guerre entre les valeureux libérateur face à la barbarie nazie. C'est une guerre entre membres d'un même pays. Parfois d'une même ville.

Je vais résumer le scénario (ATTENTION SPOILERS) afin de bien comprendre de quoi il retourne.

- On ouvre le film sur un Attentat - la population souffre des restriction, de l'eau en l'occurrence. Puis, il y a une explosion et des civils tués.
C'est très proche de ce qu'on trouve dans la merveilleuse BD DMZ qui parle d'une guerre civile moderne aux USA (et qui correspond plus à ce que les gens s'attendaient à voir, mais qui a quelques années maintenant).
On plante le décors d'un pays occidental qui vit ce que les pays touchés par la guerre civile ont subit (petit goût d'effondrement). Y compris peut-être des pays touchés par les interventions américaines. On doit comprendre (en tant qu'occidentaux) "ça peut nous arriver". On en profite évidemment pour caractériser les personnages, car ce sont eux le sujet du film.
- Ils se rencontrent dans un hôtel et la jeune journaliste (Jessie) parle de la coïncidence que ses deux modèles s'appelle Lee, faisant référence à une photojournaliste qui a couvert la seconde guerre mondiale (dont la découverte du camp de Dachau ou l'appartement d'Hitler au moment de sa chute).
- La petite bande fait une première rencontre dans une station essence. Une bande de redneck défend sa propriété contre le pillage dû aux pénurie (inutile de rappeler la centralité du pétrole pour les USA). Ils torturent des gens qu'ils connaissent. Ça rappelle le Rwanda où des gens étaient massacrés par leurs voisins. Le lien entre propriété et armes à feu (et racisme) est constitutif de la violence aux Etats-Unis.
- Camping - Jessie, la novice, est choquée. Lee, la vétérane, se pose des questions éthique avec son mentor Samy. Lui garde une éthique rigoureuse alors que Joël ne pense qu'à l'action.
- escarmouche urbaine - Le groupe suit une milice (boogaloo, ce qui peut crédibiliser son hypothèse contextuelle d'alliance rebelle entre états antagonistes politiquement) qui se bat contre les troupes gouvernementales. Jessie prend sa première photo en situation de danger : un combattant blessé. Ils abattent un ennemi à l'agonie et des prisonniers de sang froid. Ce qui nuance quelque peu le camp du bien.
- Camp de réfugiés - Passage obligé mais corrosif. Serons-nous un jour nous-mêmes des réfugiés? Cette question peut sembler un peu simple mais c'est ce qui fait sa puissance. Une question si banale ne devrais plus être posée aujourd'hui. Ce n'est pas le film qui est simpliste, c'est ce monde qui oublie ses fondamentaux. Le film assume son penchant humaniste. Une personne avisée m'a fait remarqué qu'alors qu'on traversait des lieux marqués par la mort maculés de tâches de sang, dans ce refuge, les enfants jouent et les murs sont recouverts de peinture (on dit que c'est cliché mais traiter le camp de réfugié à l'opposé du misérabilisme habituel, c'est tout l'inverse).
- Ils arrivent dans une ville en plein déni qui prétend se tenir à l'écart du conflit. Alors que l'on a ouvert le film avec des restriction d'eau et de carburant, ici on arrose sa pelouse et on ne rationne pas l'essence. Cela fait penser au fait que nombre d'américains pensent que leur mode de vie n'est pas négociable. Ça m'a rappelé aussi "Paris est une fête", au lendemain de l'attentat du Bataclan. Évidemment, ceci n'est qu'une façade. La boutique vide et les gardes sur les toits révèlent l'hypocrisie. La guerre présente des situations de contraste et d'absurdité qui mettent à l'épreuve la santé mentale des protagonistes. Cette pause shopping ramène le personnage de Lee au fait qu'elle est en plein PTSD et qu'elle ne sait plus ce qu'est une vie normale. Elle ne sait plus qui elle était avant de devenir une reporter de guerre. S'habitue-t-on un peu trop à l'inacceptable?
- Embuscade - Ils tombent sur une équipe de snipers pris sous le feu d'un autre tireur, au milieu d'un décors de noël tout à fait inapproprié. On ne sait pas qui est dans quel camp et ce n'est plus la question. Il faut juste tuer ou être tué. Il y a un côté scène du pont de Do Lung (Apocalypse Now film de référence évidente, le fleuve étant remplacé par la route). Les protagoniste sont prit au piège d'un tireur mais surtout de l'engrenage de la violence. Lee sera-t-elle capable de photographier Jessie si elle prenait une balle?
- Charnier - On arrive à la scène pivot du film. Ce qui devait arriver arrive. Le drame. La question de l'extrémisme de droite et du nationalisme qui conduit au crime est enfin clairement posée. La scène se passe de commentaire (j'y revient plus en détail plus loin). Suite à ça, le sage, la conscience du groupe, est tué. Les personnages vont donc basculer ou avoir un sursaut salvateur.
- Ils arrivent à Charlottesville (ville du célèbre attentat d'un néo-nazi qui a foncé en voiture dans une manif antifa, cité dans le film comme un photoreportage qui a rendu célèbre Lee, et qui permet de rappeler l'hypothèse du réalisateur sur ce qui peu générer une guerre civile). Les persos encaissent et décident de suivre les soldats.
- Assaut final - C'est la guerre totale à la capitale. La maison blanche est prise d'assaut. C'est Bagdad dans les rues. Lee est en crise. Jessie est devenue téméraire et accroc à l'adrénaline. Au moment de rentrer dans l'enceinte du bâtiment, Lee reprend ses esprit.
Ils suivent les soldats qui se battent devant la porte du bureau ovale. Lee est touchée. Elle est prise en photo par Jessie. Les deux journalistes restant accomplissent leur mission.

Le film raconte donc le périple de ce groupe de journaliste et comment ils vont réagir aux épreuves qu'ils vont traverser. Le trope classique du novice qui est sur la brèche entre les différentes option symbolisées par ses modèle, jusqu'à ce qu'elle bascule d'un côté ou de l'autre (Platoon). Les situation sont un peu cliché (il y a des ivariables dans la guerre), mais si vous regarder les actualités, la réalité et souvent plus caricaturale encore.

Platoon - De quel côté va-t-il finir ?

Lee, sur la brèche, traumatisée, est en train de perdre la foie en sa mission. Mission journalistique indispensable au bon fonctionnement démocratique dont l'éthique est représentée par le personnage de Samy, le vieux sage. Joël représente plutôt le côté sensationnaliste accroc à l'adrénaline, au scoop, au buz, à l'info spectaculaire que Garland estime (à juste titre) dévoyer la noble mission de ce métier qui peu servir de contre-pouvoir comme d'outil de propagande.
Enfin, Jessie représente la candeur, elle n'a pas encore assez d'expérience pour choisir sa voie. Sera-t-elle du côté de l'éthique ou du spectacle? suivra-t-elle l'exemple de son mentor (elle-même en période de doute) ou du charognard? Quel effet auront les chocs qu'elle subira tout au long de ce parcours?

On plante le décors et on pose les questions sur le journalisme.
Une fois que les persos sont calés, on entame le cœur de l'intrigue. La scène des snipers est un jalon qui enregistre les premières évolutions.

Devant l'apparente insensibilité de Lee, Jessie se demande, si Lee aurait le cran de la prendre en photo si elle se faisait abattre. Lee répond "peut-être". Elle ne sait pas encore de quel coté moral elle se trouve.

Le groupe croise la route de collègues inconscients et amis de Joël. Jessie joue le jeu mais cela tourne au drame. Par imprudence ils tombent entre les mains de criminels de guerre xénophobes.
Les deux journalistes hongkongais sont assassinés. Samy, qui voulait rester à l'écart pour ne pas prendre de risque, s'implique et leur sauve la vie. Il le paye de la sienne. Il est puni de ne pas avoir respecté sa déontologie d'observateur et de non intervention.
Lorsque Samy est tué, Lee réalise que cette guerre lui a prit son mentor. Il était la conscience qui la tenait tant bien que mal rattachée à sa mission. Elle efface la photo qu'elle avait prise de sa dépouille, montrant qu'elle veut retrouver son humanité (hommage). Joël, plus choqué que prévu, pète un plomb et se défonce. Au réveil, il est devenu obsédé par son projet d'interview et toute humanité (et neutralité) à disparue avec la mort de ses amis et de Samy. Lui, il a basculé.
De quel côté tombera Jessie? Il est fort probable qu'elle se sente coupable.

Lors de la bataille, Lee craque et perd ses moyens. Elle est prostrée et ne fait pas de photos. Jessie, endurcie par les épreuves, a prit la place de Lee. Elle prend des risque et mitraille, comme le groupe soldats. Elle se sert de son appareil argentique qui fonctionne comme un fusil, tire et recharge. (Pas mal de commentateur.ice.s ont interprété son choix de l'argentique seulement comme de la frime, du romantisme grossier. C'est condescendant et traduit une sorte de dénigrement de la jeunesse en lui prêtant systématiquement des intentions médiocres).
Lee reprend ses esprit, comme un réflexe professionnel. Elle flaire le scoop.
Dans le dernier assaut, Jessie, imprudente, est sur le point de se prendre une rafale. Lee intervient et prend les tirs à sa place tandis que Jessie prend des photos.
Lee est punie à son tour d'être intervenue. C'est finalement Jessie qui a prit une photo de Lee qui se fait abattre. Elle est choquée. Ni elle ni Joël ne vérifie si Lee est encore vivante (après tout elle porte un gilet par balle). Quelle insensibilité ! Sans doute que la mort d'une journaliste n'est rien par rapport à l'Hisotire qui se déroule à quelques pas.
(Nous alarmons-nous tant que ça sur la mort des journalistes ? L'armée isrélienne en a tué plus lors de son assaut sur Gaza que dasn tous les autres conflits réunis actuellement, et pourtant, cela ne freine pas le massacre).

Les deux journalistes restant sont à deux doigts de mettre la main sur le scoop de leur vie. Joël ne respecte aucune éthique et interrompe les soldats pour poser sa question au président. Jessie prend la photo. Le film se termine sur un cliché des soldats qui posent avec la dépouille du despote comme une photo de trophée de chasse, cynique (ça rappelle le générique de fin de La nuit des morts vivants).

SOLDIER GAZE

Le film évite jusqu'à l'assaut final de prendre le point de vue des soldats et reste sur celui des journalistes. La guerre n'est pas esthétisée. Les combattants ne sont pas des héros.
Ce qui me dérange, c'est qu'à la fin, lors de la bataille de Washington, on prend le point de vue des soldats. Il y a des plans spectaculaires (vue aériennes des tirs de roquette, les hélico qui survolent les monuments...), de l'esthétisation (la troupe qui avance sur les toits, en contre-jour à la lueur des balles traçantes), des champs/contre-champs entre ceux qui tirent et leurs victime donnant un aspect victorieux, héroïque à l'unité qui pénètre dans la maison blanche.

 

Les fils de l'homme, le plan séquence légendaire

La scène prétend vouloir s'inscrire dans la lignée des fils de l'homme mais me parait plus proche de Call of Duty (attention - je ne fait pas intervenir une réf. de jeux vidéo pour dénigrer ce médium, au contraire, je considère le JV et le ciné comparables et COD est une franchise exemplaire sur cette question). Cette séquence me parait alors osciller entre la continuité de la condamnation de cette guerre et le fait de céder à l'esthétisation de celle-ci (on voit qu'il cherche à convoquer des films qui l'ont inspiré comme Les Fils de l'Homme, Apocalypse Now ou la Chute du Faucon Noir...).
S'il s'agissait de montrer que le point de vue de Jessie avait changé, c'est confondre le propos du film et le point de vue du personnage. Pas besoin que le film adopte le point de vue des soldats pour comprendre que les personnages ont perdu leur distance.

Ne cède-t-il pas non plus à son plaisir de fumer un despote lorsqu'on connait ses préférences. Dans ce cas, le film me parait un peu lâche. Pourquoi avoir tourné autour du pot? En faisant mine de ne pas y toucher comme si ce n'était pas assumé. Aurait-il eu peur en pleine période électorale aux USA?

Ou bien cède-t-il, comme Verhoeven, à la tentation du spectaculaire, en particulier pour répondre aux attentes implicites d'un climax sous forme de bataille finale ? "Faut que ça claque! Un assaut sur Washington (COD MW2), faut des chars, des roquettes partout, des hélicos, des avions, faire péter des trucs etc..." Et il en avait les moyens.

COD MW2 ou scène finale de Cvil War ?


C'est comme si le film changeait de point de vue avec les persos, or c'est le dernier mot du film. Ce qui le rend cynique à mon avis (plus qu'une mise en garde).
C'est le contraire de Dune, qui met les scènes d'action au milieu du film et évite d'en faire des caisses au climax car ce serait faire trop d'honneur à la prise de pouvoir d'un despote.

- Je repense à ce célèbre plan séquence dans Les Fils de l'Homme. La bataille du camp de réfugié (le climax) filmé en plan séquence. Il n'y a pas de champ/contre-champ. On ne prend jamais le point de vue des soldat. Nous sommes toujours à distance, menacé. On ne voit pas bien sur qui ils tirent ou qui leur tire dessus, à part de lointaines silhouettes. Les contre-champ de Garland coupent l'immersion et les plans sur les tireurs sert le langage du conflit. Alfonso Cuaron ne perd jamais son intention, celle de suivre un civil en danger. Non pas de mener un assaut mais de le subir. On insiste sur les victime, pas sur les meurtriers. On voit des civils, des blessures.
- Je repense à la scène de Sicario dans les tunnels. Là, nous sommes du point de vue des membres du commando, et pourtant. Les soldats pénètrent dans les passages souterrains pour éliminer les tueurs d'un cartel. On est derrière les tireurs, on ne voit rien. Il fait nuit, les tunnels sont étroits. Il utilise beaucoup le hors champ. Nous avons la tension, le danger, mais pas la satisfaction de la puissance. Ça reste spectaculaire dans la mise en scène et le graphisme, mais la violence n'est pas esthétisée ou rendu jouissive. C'est froid et sans gloire.
- Je repense à la scène de fusillade finale de l'ordre et la morale. Mathieu Kasovitz a préalablement humaniser les preneurs d'otage. La caméra suit les opérateur du GIGN, on sent la tension, le danger etc... comme pour Sicario, il y a des tirs, on croise des cadavres, mais nous ne nous repaissons pas de mises à mort. Après l'assaut, les victimes sont montrés dominées ou torturées. On ne peut pas trouver cet assaut héroïque.

J'aurais préféré que le ton du film se maintienne. Ce que je déplore, ce n'est pas que la promesse d'un titre et d'une bande annonce ne soient pas respectées. Mais plutôt que j'ai l'impression que le film se contredit, pour privilégier une réponse de qualité moindre. J'ai bien peur que s'il voulait critiquer la guerre, il n'ai livré une scène d'action qui la sert.

Et le public ne s'y trompe pas en argumentant que cette scène d'action spectaculaire vaut bien de se taper l'ennui de ce qui précède. "Ce n'est pas un film d'action mais ne vous inquiétez pas, il y a une bataille qui défonce à la fin". Contradictoire.
C'est tout ce que je voudrais éviter dans mes prochaines œuvres.

Soit le film est anti-guerre et il dérape à la fin.
Soit le film est antifa et il n'assume pas assez.
Soit, il est confus et c'est le risque de perdre la maitrise.
Soit, un truc m'échappe et c'est tout aussi probable. Quelqu'un a une hypothèse qui éclair ce choix de façon logique ?

CYNIQUE WAR

Pour conclure, Civil War n'est pas vide.
Il livre un regard qui n'est pas révolutionnaire, certes, mais qui fait office de rappel et de provocation. Si le film ne parle pas assez de la guerre civile, il en provoque une chez le public. Il révèle les clivages que l'on prétend absent du film. Et c'était surement son objectif. Si on juge un film aux réactions qu'il provoque, ce film a une influence et nous nous sommes fait bolosser. Bravo l'artiste.

Il est très bien réalisé (autant dans la mise en scène que dans la technique), les actrice et acteurs font grave le job. La progression des personnage est très intéressante car elle pousse à réfléchir sur la condition du journalisme (nœud névralgique de nos sociétés) même si les snobs trouveront toujours une œuvre qui a fait mieux (et alors?).
C'est ce qui le rend très politique dans le sens philosophique et non anecdotique (oubliez le contexte on s'en fout). Il penche plutôt vers l'humanisme même s'il peut sembler pessimiste.
C'est encore un de ces films d'auteurs qui s'injecte de l'action, sorte de crossover que l'on peut voir dans Joe, Les Brasiers de la Colère etc...

Je trouve son rapport à la violence contradictoire et contre-productif à la fin.
Ce qui me laisse une impression de cynisme plus que de mise en garde.
La fin est un moment décisif pour les personnages comme pour le sens du récit, il faut s'assurer qu'elle soit cohérente dans le fond comme dans la forme. Je reste assez convaincu qu'on se fout que le contexte soit clair, mais qu'il faut que l'intention du film le soit (ce qui ne signifie pas de donner une réponse. Par contre, la question doit être explicite).

Finalement, le despote est tombé, mais qui prendra le pouvoir? Il y a dans les forces rebelles des types pas très progressistes (boogaloo bois et xénophobes). Quant aux journalistes qui survivent, ce ne sont pas les plus éthiques.
Je suis un petit peu déçu, à moins que je sois passé à côté moi aussi.
Je devrais le revoir.

Certains ont dit que ses interviews étaient plus intéressantes que son film, il y a une part de vérité. Moi je dis que les commentaires et clivages générés par le film sont encore plus intéressantes et justifient à elles seules cette proposition cinématographique.
J'espère qu'il saura être plus explicit sur ses intentions dans ses prochaines œuvres.
Malgré tout, c'est un film qui pousse à penser, qui fait parler. Il traite de sujets importants. On peut s'en saisir. Je le recommande pour tout ça et je continuerais d'accorder ma confiance à Alex Garland qui fait des film de genre qui se dégustent à l'apéritif.

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DUNE - RÉSOUDRE LA DISSONANCE CINÉMATO-NARRATIVE

Publié le par Mikeulponk

Dans mes réflexions sur le récit, les dernières adaptations ciné de Dune, par Denis Villeneuve, m'ont apporté pas mal de matière.
Je vais essayer de livrer mes idées et d'expliquer pourquoi je trouve que cette nouvelle adaptation est une œuvre mature et ambitieuse qui pète la gueule à Star Wars.
Mais cela ne semble pas toucher une grande partie du public, s'il n'est pas carrément passé à côté.

SUR UN MALENTENDUNE

Dune est un roman de SF publié par Frank Hebert au milieu des années 60 (en pleine guerre froide).
Frank Herbert avait fait un peu de politique (c'était un réac tendance anti-gouvernemental) et en était ressorti très déçu avec la conclusion qu'il ne fallait pas faire confiance aux hommes providentiels. Il les voit comme des ambitieux qui embarquent les populations dans leurs croisades personnelles de pouvoir et qui sont vite dépassés par les catastrophes qu'ils provoquent.
Avec son premier roman, DUNE, il voulait critiquer les intrigues de pouvoir, le fanatisme et la guerre tout en partageant son intérêt pour l'écologie.
Manque de bol, il a surement surestimé son lectorat car le message n'est pas passé. Ce n'est peut-être pas si évident pour tout le monde que le despotisme, c'est mal. Aussi courageux soit le tyran, ce n'est pas une excuse.
Mais le malentendu est si général qu'on doit reconnaitre que l'auteur n'y est pas pour rien non plus. Il a créé un mythe qui a plus fortement mit en valeur le héros conquérant que le message de mise en garde, un peu trop subtil (et peut-être un peu trop ambigüe, étant donné qu'il est plutôt de droite, un camp à tendance conservatrice mal à l'aise avec la révolte).

La fin des années 60 n'arrange rien avec l'avènement du psychédélisme et du mouvement hippie, séduit béatement par l'aspect mystique.
C'est un échec idéologique aussi amère que son succès commercial (c'est l'un des romans de SF les plus lu au monde).
D'ailleurs, je n'ai, au départ, pas échappé à ce malentendu.

Parmi ses qualités, il y a bien sûr l'univers très séduisant de space-opéra (Spice Opera) désertique avec ses intrigues de cour typiques.
Son univers très empreint d'écologie (Herbert a travaillé sur le sujet de la désertification des côtes aux USA) et dépouillé de technologies informatiques.
Enfin ce côté rétro est compensé par un aspect psychologique (il est psychanalyste Jungien) et politique complexe.
Ce rapport à la technologie (retro) et à la psychanalyse (individualiste et new âge) est ambigüe car ils flirtent avec le lore réac.

Frank Herbert publiera après Dune part1 & 2, des suites pour clarifier son propos (notamment Le Messie de Dune et Les Enfants de Dune). C'est en effet bien plus explicite.
Mais ces suites sont moins suivies par le public qui semble vouloir rester sur le récit héroïque pourtant tant méprisé par l'auteur.
Quand ton œuvre est récupérée pour servir le message contraire à celui que tu voulait faire passer, c'est que tu t'es planté garçon.
Il faut que ce genre d'exemple servent aux auteur.ice.s à prendre conscience qu'un récit doit être clair. C'est à dire maitriser autant dans son fond que dans sa forme. C'est tout le sujet de ma réflexion depuis quelques années.

LA TRAVERSÉE DU DÉSERT

Au milieu des années 70, un auteur farfelu du nom de Jodorowsky veut adapter ce roman (Dieu lui aurait dit de le faire en rêve).
Il ambitionne de réaliser le plus gros film de SF de tous les temps. Mais la démesure du projet le fait logiquement échouer (Voir le docu de 2013 Jodorowsky's Dune).
Pour ce titanesque film, Jodo avait réuni une dream-team de créatifs qui ont pu réinvestir leur travail dans d'autres production plus réalisables tels que Alien et Star Wars. On lui doit au moins ça et ce n'est pas rien. La légende du Jodorowsky' Dune enflamme l'imagination sur ce qu'il aurait pu être. Jodo a pu réinvestir ses idées dans la bande dessinée, en France, avec Moebius (l'Incal) et Gimenez (la Caste des Méta-Barons). Deux sagas mémorables.
Après tout, c'est sans doute mieux comme ça.

En 1984, David Lynch réalise la première adaptation cinéma du roman.
Lynch est à priori bien placé pour mettre en image le trip halluciné que promet Dune, mais les studios ont encore fait la preuve de leur incompétence en sabotant l'œuvre voulu par Lynch (en lui volant le final cut par exemple), qui désavouera le film immédiatement.
En effet, le film est peu compréhensible, carrément expédié en deux heures, avec de nombreuses incohérences (en particulier l'âge du personnage principal) et des effets spéciaux (pitié, les boucliers, les incrustes...)déjà obsolètes pour l'époque (Alien était déjà sorti il y a cinq ans et Blade Runner deux ans plus tôt).
Le truc original du film, à savoir développer une arme à partir de la voix, fonctionnait surement très bien sur le papier, mais à l'écran, je trouve que ça se plante.

 

Il y a cependant quelques éléments mémorables tels que la musique de Toto, une exposition en introduction qui fonctionne, des scènes avec les Harkonens qui font froid dans le dos (ça fait parti de mes frissons d'enfance).

L'adaptation rêvée n'était pas celle-ci et le roman acquis la réputation d'être inadaptable.
À la fois à cause de son récit très littéraire (il n'y a presque pas d'action dans le roman, beaucoup de dialogues internes) et par son univers mystique qui inspire des idées réputées impossibles à traduire techniquement (comme la préscience).

Dans les années 90, une série de jeux vidéos va relever le niveau en maintenant vivante la mémoire de cet univers tout en se payant le luxe de poser les bases du RTS.
En 2000, une série télé tente sa chance et ce n'est pas si mal. Les choix graphiques sont discutables mais au moins le récit prend le temps nécessaire. C'est une adaptation fidèle mais sans courage qui a cependant le mérite d'exister.

Il faudra attendre 2021 pour avoir enfin une adaptation cinéma qui aura l'ambition artistique et les moyens adéquat pour oser s'attaquer de nouveau à ce gros morceau de SF.

D'UNE...

Denis Villeneuve est l'heureux élu qui aura l'honneur et la périlleuse mission d'adapter ce monstre sacré de la SF. Le canadien a commencé dans le documentaire. Sa filmographie propose déjà un style sobre et spectaculaire. Premier Contact est un chef d'œuvre et Blade Runner 2049 la clef qui lui ouvre les portes de Dune.
La confiance était permise.

Lorsque j'ai vu Dune première partie, j'ai été très agréablement satisfait, autant par la forme que par le fond. Je n'avais pas beaucoup d'attente (il valait mieux éviter vu les précédentes déceptions). Mais j'ai kiffé. Je n'avais pas vu un univers aussi séduisant et immersif depuis longtemps au ciné.

Denis Villeneuve a dû faire, avec ses scénaristes, des choix d'adaptation audacieux. Mais je crois les comprendre et j'en valide la plupart.

Le film est ouvert par Chani et non par la princesse Irulan, comme dans le livre et l'adaptation de Lynch.
Irulan était considérée comme la narratrice car elle est la biographe de Paul. Les chapitres s'ouvrent tous par des extraits des livres dont elle est l'autrice (en épigraphes).
C'est un parti prit très significatif d'avoir remit les Fremen au cœur du récit. L'œuvre est placée sous le point de vue des indigènes et non plus des puissances (contre intuitif pour un film américain, surement parce que Denis Villeneuve ne l'est pas - à l'instar de Paul Verhoeven). Cela permet d'attribuer un rôle plus proéminent à Chani. Et c'est l'un des choix les plus forts du films. J'y reviendrait quand on en sera à la partie 2 (où son rôle se déploie).

Irulan n'est pas présente dans la première partie, ni l'Empereur.
Un choix sans doute motivé par la volonté de simplifier un premier volet dédié à l'exposition de l'univers et des enjeux.
Pourquoi présenter des personnages qui, de toute façon, n'auront pas d'utilité immédiate dans cette première partie? Bon choix selon moi. En plus ça garde un peu de surprise sur le casting de la suite.
Autre personnage absent du premier volet, Feyd-Rautha. Pour la même raison, chaque chose en son temps.

Les scénaristes font aussi le choix de privilégier l'ordre des Bene Gesserit, et allègent l'histoire en mettant les Mentats et les autres ordres en fond. Pourquoi pas. Le récit se concentre et ce n'est pas gênant dramaturgiquement. Un peu dommage quand même pour une chose : Thuffir Hawat (Stephen McKinley Henderson). Il a su provoquer ma sympathie malgré son petit nombre d'apparitions.

La trahison du dosteur Yueh (Chang Chen) est basée sur la surprise et nous ne sommes pas convié à partager le dilemme moral du personnage bien plus construit dans le livre.
Le Baron Vladimir Harkonen (Stellan Skarsgard) est traité très différemment du livre. Dans le roman, c'est un personnage excentrique et très bavard qui manipule et calcul à longueur de temps. Les intrigues sont complexes et très poussées. Je reviens sur l'importance de ces deux personnage un peu plus loin.

Autre personnage qui a subit un changement notable, Lyet Kynes (Sharon Duncan-Brewster) qui est devenu un personnage féminin. Très bon choix à mon avis. Ça ne change rien à l'histoire (Kynes n'avait pas besoin de pénis dans l'œuvre d'origine). Un rôle féminin supplémentaire est offert à une œuvre qui en manquait un peu, surtout au début, avant l'arrivée de Chani.
La prestation de l'actrice est bonne, que veut-on de plus?

D'ailleurs, casting de fou, tous les acteurs et actrices sont à la hauteur. Le duc Leto Atréide (Oscar Isaac), Dame Jessica (Rebecca Ferguson), Gurney Halleck (Josh Brolin), Raban (David Bautista), La révérende mère Gaius Helen Mohiam (Charlotte Rampling), Jamis (Babs Olusanmokun)...

Dans le livre, les Sardaukars sont sous uniforme Harkonnen. Mais ils sont démasqués par ceux capable de distinguer leur technique de combat. Sans doute un élément trop difficile à rendre au cinéma (art visuel), donc ils se battent avec leurs propres uniformes. C'est un détail.
Les combats avec les boucliers, qui imposent un coup lent pour le traverser, sont surement très difficiles à mettre en scène. Je regrette tout de même qu'une solution meilleure n'est pas été trouvée. Idem pour "l'Art Étrange du Combat" qui est sensé être un art martial très particulier mais qui ne trouve pas de traduction visuelle spécifique non plus.
Aussi, si un laser touche un bouclier, il y a le risque de provoquer une explosion énorme et de tuer tout le monde aux alentours. Les lasers sont donc utilisés avec une extrême précaution imposant ainsi les combattants à s'affronter à l'arme blanche la plupart du temps. Le film ne s'embarrasse pas de ce détail car il ne veut pas se priver de scènes avec des laser (poursuite de l'Orni de Duncan Idaho (Jason Momoa) dans l'Attaque d'Arrakeen). Mais alors on se demande pourquoi ils ne se tirent pas dessus au laser plutôt que se livrer à des combats à l'épée plus archaïques. D'autant plus que les fusils laser seront plus présent dans la seconde partie.
Mais ce ne sont que des chipotages de forme.

Sur le fond, je reviens sur le choix d'avoir offert aux Fremen d'ouvrir le film, qui permet déjà d'atténuer l'aspect sauveur blanc de Paul. "Qui sera notre prochain oppresseur?".
Ce choix est déjà une preuve que Denis Villeneuve a compris le sens de l'œuvre et il la modernise comme il faut. C'est tout le but d'une adaptation.

On peut noter au passage les moments mémorables tels que cette embuscade Fremen qui introduit le film, qui présente le style très graphique, ces designs empruntant au monde animal, le sound-design qui tabasse avec ses prises de sons réelles...
La scène de l'arrivée des Bene Gesserit de nuit, sous la pluie, avec cette bande son très appropriée. La scène de présentation des Sardaukars sur Salusa Secundus, toujours avec une ambiance musicale terrible.
La présentation de Stilgar joué par Ravier Bardem, très inspiré et juste.
Le sauvetage de la moissonneuse, très réussie.
L'attaque de nuit à la fois épique et anti-spectaculaire, malgré cette scène contradictoire de Duncan en Ornitoptère fuyant un laser (elle est de trop à mon goût mais se justifie, de toute évidence, parce que c'est cool et stylé).

La volonté de simplifier le récit pour le rendre compréhensible et accessible sans trahir l'esprit de l'œuvre est une réussite selon moi. La réduction des explications sur certains éléments de l'univers n'est pas dérangeante et ne fera grincer des dents que les puristes. C'est un film destiné à un large public qui ne connait pas forcément l'œuvre d'origine. Il ne remplace pas le roman. Les deux ont leurs atouts et se complètent à merveille.

Mais je regrette tout de même deux choses. D'abord le traitement de Yueh.
Nous mettre dans la connivence de son calvaire aurait renforcé l'aspect cruel de l'univers, caractérisé plus finement le Baron et installé un peu d'ironie dramatique. La trahison est un peu téléportée et on frôle le cliché de l'asiatique fourbe. Regrettable.
Ensuite, le traitement du Baron et des Harkonnens en méchants brutaux et caricaturaux m'irrite. Le Baron est inquiétant esthétiquement mais il n'a pas l'ampleur du roman. Il ne passe pas pour un être aussi intelligent que dans le livre. Cela ôte une grande part de la subtilité et de la nuance du récit. Dommage. Même la référence évidente à la présentation du colonel Kurtz dans Apocalypse Now ne suffit pas à remplacer les scène qui auraient pu le caractériser plus finement. Par contre, c'est bien d'avoir viré l'aspect homophobe de sa caractérisation présent dans le livre (Herbert était homophobe et en conflit personnel avec son fils à ce propos).

En conclusion, à la première vision, j'ai été totalement plongé dans cet univers.
J'ai adoré les choix graphiques et sonores (musique et sound design). Denis Villeneuve avait raison de dire que regarder Dune sur un petit écran, c'était comme faire du hors-bord dans une baignoire.
J'ai su apprécier les choix d'adaptation au lieu de me braquer comme un fétichiste borné.
J'ai lu des critiques qui reprochaient au film une lenteur typique du style de Villeneuve. Il m'a semblé qu'il y avait des longueurs mais je n'ai pas vu les 2h30 passer. J'avais aussi regretté une faiblesse dans l'intégration de la musique, qui m'avait semblée plus jouissive à l'écoute préalable (la bande son était sortie avant le film).
Quant aux différences notables avec le roman, je n'avais pas pu m'empêcher de les remarquer et d'y réfléchir pendant mon visionnage, me sortant temporairement du film. Sans grande conséquence parce qu'il arrivait à me recapturer très rapidement.
Lorsque je l'ai vu une seconde fois, tout ce qui m'avait gêné avait disparu. À part le traitement du Baron. Pour une œuvre qui se veut un Star Wars pour adulte (et moi je dirais même un anti-Star Wars), c'est vraiment le défaut du film d'avoir des méchants aussi clichés.
Mes gênes à la première visions étaient grandement dû à ma connaissance du récit. J'en était débarrassé pour la seconde vision et j'ai donc pu profiter du film.

Beaucoup de critiques se sont portées sur le traitement de Paul (Timothé Chalamèche).
Trop dépressif et suscitant peu d'identification. Beaucoup de spectateur.ice.s disent être restées à l'écart, voir insensibles aux personnages.
Je crois que personnellement, je comprend l'état de Paul. Ce sentiment de mélancolie face à un rôle et un destin tout tracé dans un monde qui le dépasse me semblent justifié. C'est un sentiment à rapprocher de celui éprouvé par les nouvelles générations confrontés à l'inéluctable destruction annoncée du monde tel qu'on le connait. Paul est accablé par son destin comme on est démuni face au changement climatique, ou à un monde politique hermétique et de moins en moins démocratique (élitiste et autoritaire). C'est un monde où des vieux ont décidé pour toi de ce qui allait se passer, en dépit du bon sens. C'est un piège mortel (existentiel) qu'on voit se refermer sur nous, sans qu'il ne paraisse possible de le déjouer. Une tragédie pure.
Denis Villeneuve est en effet réputé pour son style et ses œuvres profonde, mais pas pour sa capacité à l'empathie sur les personnage ou les grandes émotions, ni pour maitriser l'action grand public.
Je dirais plutôt, en ayant l'impression de partager sa sensibilité, qu'il s'agit d'un registre d'émotions plus subtiles, suggérées, mélancoliques, qui cohabitent avec une personnalité à tendance intellectuelle. Ce n'est pas qu'il ne ressent pas, mais il ressent différemment. Je crois.

Je passe sur les critiques peu constructives à propos d'une SF qui ne saurait plus rêver, de peine à jouir... Je pense que celles et ceux qui disent ce genre de bêtises devraient commencer par s'adresser ces remarques. D'essayer de critiquer une œuvre en se demandant pourquoi l'artiste à fait ces choix, qu'a-t-il ou elle voulu dire et si c'est réussi, plutôt que de se contenter de bouder parce que l'artiste n'a pas fait ce que on aurait voulu. Autrement dit, ce n'est pas parce que ça ne vous plait pas que c'est mauvais. C'est peut-être vous qui n'avez pas compris, ou qui avez des goûts de chiotte.
L'œuvre n'est pas parfaite, il est légitime d'avoir des critiques (c'est le cas ici). Mais étant donné l'intention de l'œuvre d'origine, et la vision du réalisateur, je crois bien que le film est une adaptation réussie.

Cela dit, la fin de cette première partie, un peu expédiée, ne pouvait que nous laisser sur notre faim. Nous avons vu une introduction prometteuse. Il faudra attendre deux ans pour savoir si Denis allait tenir ses promesses.

... ET DE DEUX

Je l'attendais mais je me suis vraiment méfié de mes attentes. J'ai évité de regarder la bande annonce.
Tout ce que je souhaitais, c'est qu'on ne s'arrêta pas au mythe de Paul et qu'on conserve la critique initiale des figures héroïques. Le film ne m'a pas déçu.

Il y a aussi de grandes différences dans cette deuxième partie.
Cette fois-ci, Irulan introduit le film et l'Empire fait son apparition. Des seconds rôles sobres mais bien utilisés. Le casting est top (Christopher Walken et Florence Pugh).
Feyd-Rautha (Austin Butler) également. Qui ne rattrape malheureusement pas les lacunes de la caractérisation des Hakonnens. D'autant plus que le parallèle avec le nazisme est surligné (défilé militaire et slogans "blood and honor"...). Je ne suis pas d'accord pour simplifier la nazisme dans des caricatures de brutes sanguinaires bêtes et méchantes. Ça nous empêche de comprendre ce qu'était réellement le nazisme et nous condamne à ne pas le voir lorsqu'il se réincarne sous notre nez (aujourd'hui plutôt costard cravate que bottes et batterie de cuisine).

À l'issue du premier visionnage, j'ai eu l'impression que l'apprentissage Fremen de Paul était un peu expéditif et la relation avec Chani précipitée. Mais au deuxième visionnage, ça ne pas m'a pas gêné.
Décidément, Dune (partie 1 comme 2) mérite un second visionnage pour être pleinement apprécié.

Les designs nous régalent de nouveau et le son est un atout majeur à ne pas sous-estimer.
Faut le voir au ciné vraiment!
Rien que pour la salle qui tremble à cause du son qui vous fait ressentir les vibrations du sable pendant les scène de chevauchage de vers.
Scène qui par ailleurs aurait pu être très kitsch lors de la bataille finale mais qui fonctionne à fond (des guérilleros shooté à l'épice foncent sur des vers géant en pleine tempête de sable après avoir fait explosé une montagne avec une bombe nucléaire pour péter la gueule à une armée de viking intergalactique).
La scène d'intros avec les soldats Harkonnens qui lévitent est glaçante. Par comparaison, les stormtroopers dans Star Wars ne m'ont jamais fait peur.

La scène de l'attaque de la moissonneuse, très jeu vidéo, prouve que, s'il le veut, Denis Villeneuve peut nous livrer une scène d'action avec une dramaturgie interne digne d'un Indiana Jones. On doit alors comprendre que s'il ne le fait pas, c'est qu'il y a une bonne raison.
Les costumes (en particulier des révérendes mères) sont somptueux.
Bref côté univers et production-design, Denis Villeneuve nous régale une fois de plus.
Il y a cependant un problème de cohérence au moment où Feyd reprend le commandement à Raban. Il suffit à Feyd d'arriver et d'attaquer une montagne (le Siecth Tabr) pour se rendre maître du nord. Je comprend mal ce qui a empêché Raban de le faire, ou ce que Feyd aurait fait de spécial pour obtenir de meilleurs résultats. Ce n'est pas clair et ça donne une impression de débilité, du genre, "il suffisait de faire ça? Pourquoi ne l'a-t-il pas fait avant?", bref.

Quittons la forme pour s'occuper du fond.
Il y a quelques différences d'une grande importance qui, pour moi, donnent une grande valeur à cette version de Villeneuve. Les Personnages de Chani et de Stilgar qui livrent un propos critique et moderne sur la religion en adéquation avec les intentions d'Hebert sans être aussi ambiguë que l'auteur d'origine. En fait, plus sympathique (et empathique) avec les révolutionnaires.

Dans le livre, Chani est une femme dévouée à son mari. Son rôle est un rôle de légitimation morale au sein de la tribu. Elle donne naissance à la descendance. Elle l'accompagne en bonne épouse et reste dans son ombre.
Un rôle proche de celui de Neytiri dans Avatar 2 (film dégoutant de patriarcat).
Chani (Zendaya) est le personnage qui sauve le propos du récit. Le livre n'avait pas été clair car il contredisait son intention en attribuant à Paul un parcours héroïque sans alternative pour juger de sa dérive. Chani incarne ce regard critique et permet aux spectateur.ice.s de s'identifier à un parcours plus représentatif du propos que le récit a pour ambition de servir.
Un personnage qui garde sa force et son intégrité. Chani est le potentiel personnage principal de cette nouvelle adaptation. On glisse au fur et à mesure vers son point de vue tandis que Paul s'éloigne de nous.
Très grande réussite à mon avis.

Il est possible que l'échec de Herbert soit dû à ses opinions réactionnaires car tout aussi anti-gouvernemental était-il, il était aussi très hostile aux révolutionnaires. En gros il critiquait le système mais n'avait rien à proposer. Ce qui donnait à son livre un ton pessimiste et misanthrope tandis que Chani a le potentiel d'incarner l'énergie révolutionnaire de la jeunesse face aux despotismes.

Quant à Stilgar. Charismatique dans le premier volet, sa ferveur béate le rend pathétique dans le second. Un traitement comique inattendu qui a fonctionné sur moi.
Il est attachant par son côté presque enfantin. On rit d'abord avec la jeunesse septique. On s'inquiète ensuite quand Jessica attise le mythe et que les visions de Paul présagent du pire. Enfin, on fini terrorisé par cette religion qui est passée du folklore à un fanatisme génocidaire cosmique en clôture du film. Tout le propos est porté intelligemment par le trio Paul, Chani, Stilgar. Et l'interprétation des acteur.ice.s fait grave le job.

Je regrette une absence dans le film : Alia.
Elle a du être mise de côté pour les mêmes raisons qu'Irulan et Feyd-Rautha l'ont été de la première partie. La concentration de l'intrigue.
Or, cette fois-ci, je me demande comment ils vont pouvoir rattraper ce dont cette absence nous prive. Alia était sensée souffrir de la mort de son petit frère (absent aussi) et tuer le Baron Harkonnen (alors qu'elle n'est qu'une petite enfant). Ce qui lui provoquera dans la suite des tourments centraux dans l'intrigue. Nous sommes privés d'une scène très puissante et on verra comment ils comptent rattraper ça. Pour l'instant, ils ne m'ont pas déçu.

Bref, j'ai kiffé et je suis soulagé que l'œuvre ait respecté le propos qui justifie son existence.
Le scénario est épuré mais il est d'autant plus compréhensible et puissant. Les acteur.ice.s remplissent leur mission à merveille. Le monde créé par Villeneuve rend hommage à l'univers créé par Frank Herbert et égale Mad Max Fury Road ou le Seigneur des Anneaux dans les sagas monde spectaculaires. Dune a enfin une adaptation qui permet d'apprécier ce que cet univers a à proposer de spécifique. J'ai hâte de découvrir la suite qui achèvera surement de clarifier l'enjeu (peut-être un peu plus d'écologie) et aura sans doute un impacte sur notre culture à cette époque de retour des despotes et des fanatismes religieux ou politiques apocalyptiques.

STAR WARS C'EST POUR LES BÉBÉS

Voilà maintenant ce que je retire de ces deux films dans ma réflexion sur le récit.
J'ai découvert Dune aux alentours de ma dizaine avec le film de Lynch. J'ai donc connu ce récit comme une aventure héroïque exotique.
J'ai approfondit mon attachement à cet univers en dosant le jeu Dune 2000 (RTS sorti en 1998). Campagne de gestion et conquête classique.
Vers seize ans, j'ai voulu me réconcilier avec la lecture. J'en avait été dégouté par l'école et j'avais bien le sentiment qu'en me privant de ce médium je passais à côté de quelque chose. Pour reprendre avec une œuvre qui saurait capter mon attention, je choisi Dune.
Il faut avouer que ça n'a pas été facile. Ce n'est pas un livre simple. J'avais eu du mal à me concentrer. Mais j'ai fini par y arriver. J'ai d'ailleurs pu aller plus loin que le récit proposé par le film de Lynch car j'ai lu les deux suites directes bien plus explicites.
J'étais devenu un petit punk et donc prêt à accueillir cette vision critique du pouvoir.
Mon attachement n'en fut que plus renouvelé.

Vers la trentaine, je l'ai relu et j'ai même commencé à travailler dessus pour en faire une adaptation en BD car j'estimais, comme la majorité des amateur.ice.s du roman, qu'il n'avait pas encore été adapté à la hauteur de son potentiel (J'ai fait quelques essais en dessin mais je n'avais clairement pas le niveau pour développer un tel univers).
Puis vint l'annonce d'une adaptation par Denis Villeneuve.
Ce qui relança mon intérêt, m'y replongeant muni du MOOK sorti en 2020.
Je suis très satisfait des deux films sortis en 2021 et 2024. J'attend avec impatience la suite qui devrait sortir quatre longues années plus tard.

Peu avant (en 2019), une fameuse saga venait de terminer un nouveau cycle. La troisième trilogie Star Wars. Cette nouvelle trilogie m'a tant déçu que ça m'a surement permis d'apprécier d'autant plus Dune.
Le premier volet, l'épisode VII, le réveil de la force, était un remake de l'épisode IV, un nouvel espoir (ma trilogie de référence). On sentait bien qu'il fallait resservir un doudou aux fans et cela m'a passablement ennuyé. Mais elle apportait un potentiel narratif avec le personnage de Kylo Ren.
Dark Vador était un gentil qui voulait être méchant alors que Kylo Ren est un méchant trop gentil (c'est simplifié, mais pas tant). Bref, un premier volet bien foutu visuellement, mais assez vide et sans audace. Il avait cependant l'avantage de ne pas avoir trop monté les fan contre lui, il pouvait donc se permettre de tenter des trucs dans la seconde partie.
Et en effet l'épisode VIII, les derniers Jedi, tente des trucs. Il remet totalement en question la figure héroïque de Skywalker. C'est un parti prit très moderne (même post moderne et méta), et sans doute inspiré par Dune. J'ai beaucoup aimé cet aspect de désacralisation du héros. Mais ce n'est pas le cas des fétichistes benêts qui ont incendié le film. Disney, qui produit le film, n'a pas la moindre conviction. Ils veulent juste faire du fric. Ils ont donc cédé aux fans et fait en sorte qu'on resserve de la soupe aux bébés starwarsophiles. Tout ça pour que le troisième volet déçoive tout le monde car il est un énième produit commercial à grand spectacle sans portée, indigne du devoir que la SF doit remplir et tant que genre narratif.

Denis Villeneuve a eu le courage et la liberté de faire ce que Star Wars a loupé. Livrer un récit moderne et profond. Qui parle de politique sans prendre son publique pour des neuneus.

NOBLE CAUSE OU CAUSE DE NOBLE ?

J'ai personnellement entreprit il y a quelques années une forte remise en question de mes propres schémas narratifs. (voir cet article où j'entamais ma réfléxion ça commence au tier de l'article à partir de "La relation entre éthique et esthétique dans la création artistique est un dilemme qui me taraude depuis longtemps").

En relisant un vieux scénar de SF, je me suis rendu compte qu'il était ultra ringard. Plein à craquer de toutes mes refs de SF sans digestion. C'était un mélange de Mad Max et de Dune avec du zombi à la Romero. Or les temps et mes opinions politiques ayant changés. Les récits colportés par ces films (une espèce d'angoisse bourgeoise et xénophobe qui valorise le héros viril individualiste) ne m'intéressent plus du tout, au contraire, je les combat.
La période du COVID a achevé de me faire réaliser les dégâts causés par ce genre de récits qui influencent nos comportements. Les récits sont des pré-scénarisations à prendre au sérieux.
Les questions étaient donc multiples. Comment faire un récit stimulant et divertissant sans passer par le schéma habituel du héros triomphant ? Sans décrire un parcours individuel ? Sans transmettre une vision du monde anxiogène de dégénérescence regretté d'un empire idéalisé ?

Mon éthique et mon idéal m'impose de trouver un récit de SF collectif et constructif pour nous donner de la puissance et nous permettre d'imaginer un futur progressiste.
Mon récit historique doit critiquer la guerre sans l'esthétiser, contrairement à Starship Trooper ou Apocalypse Now, pour ne citer qu'eux. C'est une véritable dissonance entre l'intention, à priori critique de la guerre, et le procédé qui en utilise tous les outils valorisants.
Une sorte de dissonance cinémato-narrative. Je reprend le concept de dissonance ludo-narrative dans le jeu vidéo (Conflit entre le récit d'un jeu vidéo raconté à travers l'histoire et le récit raconté à travers le gameplay - éternelle problématique de la cohérence entre le fond et la forme) et l'art impossible de Geoffroy de Lagasnerie.
Matrix, Resurrections, quatrième volet, livrait une réflexion méta sur ce sujet avec beaucoup d'intelligence et d'impertinence.
Ce problème de cohérence forme/propos me paraissait potentiellement insoluble.

Dune me semble avoir réussi sur certains points.
Il investit le spectaculaire non pas dans l'héroïsme mais dans l'univers et la mise en scène.

Par exemple, dans le premier volet, lors de l'attaque du spatioport par les Harkonnens, au moment où les deux armées vont se rentrer dedans, un vaisseau se crash au premier plan et masque le bataille par une boule de feu.
Le contraire de ce qu'aurait fait un blockbuster de super-héro où on est sensé prendre son pied en assistant au choc (bagarre!). Habituellement, on a le coup et l'impact. C'est ce qu'on voit dans le Seigneur des Anneaux avec les deux armées qui rentrent en contact. Que serait Apocalypse Now si on ne voyait pas les impacts des roquettes tirées par les gunships lors de l'attaque du village. Ou les scène de fusillades si on ne constate pas que le personnage à atteint sa cible et triomphé son ennemi.
Justement, on a le mouvement épique, mais pas la satisfaction de l'aboutissement de la violence. Comme un coït interrompu juste avant l'orgasme.
Il nous empêche de jouir de ce qu'il veut dénoncer, c'est tout l'enjeu et c'est réussi.
Mais ce n'est pas le cas tout le temps. Sans doute parce que le cinéma est une impasse et qu'il faut donner aux studios un minimum pour qu'il fiche la paix au réal.
La bataille de fin est réduite au minimum. Le Seigneur des Anneaux fait durer la bataille finale sur un tiers du film. Là ou un film basique de super héros ne fait que du remplissage entre les scènes d'action, Villeneuve se désintéresse de la baston. On a compris, pas besoin d'en montrer plus.
C'est anti-spectaculaire et le contraire de ce à quoi à été habitué les spectateur.ice.s. C'est osé mais cohérent.
Beaucoup ont été frustrés et n'ont pas compris le sens de ce choix. Un grand nombre de critiques préfèrent remettre en cause les compétences du réalisateur que d'interroger leur frustration de ne pas avoir pu se repaitre d'un massacre. D'autant plus dans une œuvre qui te dit explicitement que ce n'est pas bien de faire la guerre parce que ça permet à un tyran de prendre le pouvoir.

On termine le film avec un empereur humilié, mais avec un héros qui a trahis ses amis pour déclencher une guerre atroce en son nom. On comprend normalement que l'univers n'a pas gagné au change, ou que le remède va finalement être pire que le mal qu'il était supposer soigner. Chani ouvre et ferme ce dytique pendant que les autres s'en vont massacrer hors champ. On la suit dans le désert car c'est elle qui est restée intègre et juste. C'est elle l'héroïne moderne.
Elle se bat pour une cause, des idées nobles, contrairement à Paul qui se bat pour sa seule cause, celle d'un noble.
Moi, je suis Team Chani.

Je vais devoir m'inspirer de ça pour mes propres œuvre et j'aurais une chance de fournir un récit fun, puissant mais cohérent, plutôt que dissonant et contraire esthétiquement à mon éthique artistique.

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